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Libération : sortie de crise ?

Libération : sortie de crise ?

12 May 2014 | PAR Camille Pettineo

18 millions d’euros. C’est le montant du plan de rachat et de renflouement de Libération présenté par Bruno Ledoux. Couplé d’un prêt d’urgence de 4 millions d’euros d’ici à fin juin, ce dernier a été accepté le 28 Avril par le tribunal de commerce de Paris. L’heure d’un nouveau souffle aurait-il sonné ?

 

« Nous sommes un journal, pas un réseau social ». Le désormais célèbre cri d’alarme de ce quotidien historique a remis sur le devant de la scène le thème de la fin de la presse écrite et de la survie de l’information. Il faut dire que l’agonie d’un journal n’a pas fait autant de bruit depuis que le Matin de Paris a mis la clef sous la porte en 1987. La France qui apparaissait comme relativement préservée jusqu’ici prendrait-elle le même chemin que ses voisins ? En Décembre 2012, le Financial Times Deutschland publie son dernier numéro. Plus assez rentable, ce quotidien économique allemand disparaît, et laisse derrière lui 350 journalistes. Les Etats-Unis ne sont pas épargnés non plus. L’exemple le plus frappant, c’est Newsweek. En près de vingt ans, l’hebdomadaire américain a été lâché par la moitié de ses lecteurs, conduisant à la fin de parution de sa version papier en 2012. Un destin similaire est-il envisageable pour Libération ?

 

Une crise retentissante

Né en 1973 sous la plume de Sartre et de Serge July, la crise intestine du quotidien suscite inquiétude et curiosité. Il est vrai que tout laisse à penser que le modèle économique des journaux est brisé. Depuis 2002, la concurrence des gratuits à rejoint le phénomène de baisse d’appétit du lectorat. Résultat : la diffusion baisse, les recettes publicitaires s’effondrent et les coûts de fabrication augmentent. Sans négliger la part majoritaire des coûts fixes dans l’économie de l’entreprise de presse. Au premier rang de ceux-ci, les charges du personnel. Libération serait-il l’exemple type de cette crise ?

En proie à de graves difficultés financières ce quotidien a vu ses ventes chuter de manière vertigineuse. En 2013, Libération a connu la plus forte baisse des ventes parmi les quotidiens français : 15%. Un phénomène que l’on pourrait imputer à une véritable perte identitaire de la part du journal. Pour la journaliste du Nouvel Obs, Laura Thouny : “on a assisté à un effondrement de ses ventes parce que Libé a été accusé de mal gérer sa proximité avec le Parti Socialiste “.

Mais le quotidien est également criblé de dettes, selon le JDD, celles-ci s’élèveraient à 6 millions €. Face à cette situation, la direction a présenté, mi-Janvier, un plan d’économies aux actionnaires principaux, les hommes d’affaires Bruno Ledoux et Edouard de Rothschild. Mais l’accord est tombé à l’eau faute d’entente. Scénario catastrophique quand on pense qu’à eux seuls, ils détiennent 53 % du journal.

Cependant, les choses bougent dans le directoire. C’est en mars 2011 que Nicolas Demorand succède à Laurent Joffrin en qualité de directeur de la rédaction et membre du directoire de Libération. Mais une fois encore les choses ne se déroulent pas comme prévu. Après seulement quatre mois dans les murs, le journaliste fait face à une première motion de défiance adoptée à 78% par les personnels du quotidien selon le JDD. La pression monte, et tandis que Libé cherche un nouvel actionnaire de référence le quotidien prévoit un million d’euros de pertes pour 2013. Le 13 Février dernier, Nicolas Demorand lâche dans les colonnes du Monde : « J’ai décidé de démissionner de “Libération” ».

Mais le marasme ne s’arrête pas là pour autant, car au delà de la crise structurelle et managériale, Libé doit faire face à l’envie de changement de son actionnaire-clef : Bruno Ledoux. A travers un mail, la rédaction découvre un projet de réforme radicale du journal. Entre autres, la création d’un réseau social autour du quotidien et la transformation du siège parisien, rue Béranger, en espace culturel. La coupe est pleine, les salariés craquent. « Nous sommes un journal » est né.

 

Une bouée est lancée

Alors que Bernard Poulet qualifie cet attachement à la presse traditionnelle de « déni suicidaire », la crise de ce journal remet en perspective l’agonie des quotidiens. Car, au delà d’un alarmisme patent, des solutions existent.

En effet, tout n’est pas si noir à y regarder de plus près. Car nombreux étaient ceux à vouloir se porter acquéreurs en cas d’extrême urgence. Interrogé le 20 mars sur France Inter, Matthieu Pigasse, a exprimé son intérêt pour Libération. Une solution économique envisageable puisque le trio « BNP » (Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse) a déjà fait main basse sur des titres aussi prestigieux que le Nouvel Observateur et le Monde. Cependant, le salut du quotidien est venu de l’intérieur. Avec l’accord du tribunal, Bruno Ledoux aurait déjà sollicité le milliardaire Patrick Drahi, patron du groupe Altice et de Numéricable. Situation ubuesque quand on sait que dans un mail qui avait fuité en février, ce dernier traitait les salariés d’« esprits étriqués », qu’il fallait « ringardiser ». Pas de quoi rassurer les salariés qui y voient une grave menace pour les valeurs du journal et l’avenir du quotidien papier selon Le Monde. Pour Willy Le devin, journaliste à Libération, “si aujourd’hui on saborde le journal papier on saborde directement l’entreprise” qui tire la majorité de ses revenus de la version papier.

Mais la solution ne s’exprime-t-elle que dans le renflouement des caisses ? A travers la figure emblématique de Libération, c’est la crise actuelle de la presse qui s’exprime. Une crise structurelle, éditoriale, d’innovation… Entre ébranlement du « papier » et transformation du métier de journaliste, il est plus que jamais d’actualité de nous interroger sur la place que la presse aura dans les années à venir. Assistons-nous à un tournant historique des quotidiens à travers l’exemple de Libération ?

Le documentaire « Libération : Quand la presse se meurt ? » a tenté de trouver des pistes d’explications. Journalistes, politiques, experts, tous ont répondu à l’appel de cette vaste enquête. Causes profondes, conséquences actuelles de la dépréciation du papier mais également solutions envisageables sont abordées au travers d’entretiens avec des personnalités comme Anne Hidalgo. Et les lecteurs dans tout cela ? Une chose est sûre, ils doivent faire partie intégrante du projet de « révolution » de la presse papier. En tout cas, ils auront été nombreux à faire le déplacement lors de la journée porte ouverte de Libération le 15 Mars dernier.

 

 

Visuels : © Logo de Libération
© Logo du documentaire « Libération : Quand la presse se meurt ? »

Vidéo : © Camille Pettineo & Audrey Altimare – 2014

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Camille Pettineo

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