Clôture oecuménique du Festival de musique sacrée à Perpignan
L’édition 2023 du Festival de musique sacrée à Perpignan, placée sous la thématique Vibrato de l’âme, se referme sur un voyage oecuménique allant de l’Amérique latine à Jérusalem, en passant par la Corse.
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Conçu comme un creuset de rencontres entre les traditions et les répertoires religieux, le Festival de musique sacrée referme sa trente-septième édition sur un condensé de son œcuménisme. Le jeudi 6 avril, Jean-Claude Acquaviva et ses complices de l’ensemble A Filetta mêlent les polyphonies corses avec le saxophone de Peter Corser et les mélismes orientaux d’Abdullah Miniawy, qui font se rejoindre les rives de la Méditerranée, avec des compositions de chacun des solistes. Si la balance acoustique choisit le parti d’une homogénéisation qui prend un peu le pas sur le naturel de l’a capella, on retient d’abord la virtuosité instrumentale, tissant des interludes évocateurs, au carrefour des styles, et un engagement fervent pour une valeur un peu négligée de notre devise nationale : la fraternité. C’est bien sous cet augure que le parcours musical réunit le public dans l’Eglise des Dominicains, laquelle, deux jours plus tard, invite à deux voyages, l’un en Amérique latine, l’autre dans l’emblématique Jérusalem.
Intitulé Mujeres, le programme que propose Diana Baroni dans la nef au milieu de l’après-midi, fait redécouvrir les voix des poétesses et musiciennes latino-américaines. La soliste argentine, qui s’est d’abord fait connaître comme flûtiste, ce qu’elle illustre au traverso, esquisse ainsi, aux côtés des percussions et de la guitare baroque jouées par Rafaël Guel Froas, et de la viole de gambe de Ronald Martin Alonso, un parcours à travers les pays et les époques. Un florilège de pages traditionnelles, du Mexique, mais aussi de Bolivie et du Vénézuela, jalonne, sur des rythmes colorés, une saisissante traversée musicale, teintée d’une délicate mélancolie et dédiée aux destinées de femmes qui ont parfois payé de leur vie leur dévotion à leur instinct créateur. Dans ce panorama qui décline, avec un bel instinct de l’économie expressive, les émotions sous-jacentes des mouvements de danse transmis par la tradition, l’une des mélodies les plus marquantes – et connues – reste Alfonsina y el mar, de Ariel Ramirez, sur des paroles de Felix Luna, que la cantatrice restitue avec une décantation admirable, aux confins de la parole. La composition des contrastes et des échos au fil d’une heure façonne une fascinante parenthèse, prélude à celle que concocte le soir Simon-Pierre Bestion et son ensemble La Tempête.
Véritable plongée dans l’imaginaire nourri par une ville trois fois sainte, Jérusalem déploie une authentique scénographie immersive, sinon hypnotique, traversant plus de dix siècles de musique – et plusieurs continents. Le sens de la dramaturgie s’affirme dès l’entrée du choeur sur un chant de Transfiguration du XIIème siècle, avant une dévotion orthodoxe à la Vierge du XIXème, confiée, comme tout le corpus arabe, melkite et byzantin, à Georges Abdallah, d’une intense concentration intérieure déployée dans des mélismes tenus. En réponse, Milena Jeliakova fait rayonner une incandescence dans une composition méditative en arménien, que l’on retrouvera également dans les traditionnels séfarades et bulgares. L’alternance entre ensemble choraux, à géométries variables, et séquences solistes, avec la complicité des lumières tamisées par Marianne Lecerf, construit une sorte de rituel qui dépasse tous les clivages liturgiques.
Le Psaume 136 de Schütz n’a pas besoin d’accentuer la théâtralité du double choeur, avant sa version melkite, que prolonge la souplesse chromatique de Mèn èntè de Zad Moultaka, sur un poème d’un mystique persan du Xème siècle. Le Psaume de David revient une troisième fois dans sa mouture hébraïque par Salomone Rossi, compositeur de la Renaissance, avec laquelle résonne une chanson juive yéménite de la même époque. La singularité des vocables du Cantiga de Santa Maria du roi Alphonse X, en galaïco-portugais contribue à la mosaïque babélienne d’un concert qui s’envole ensuite dans l’Angleterre élisabéthaine et les Lamentations de Jérémie de Robert White, avant une inflexion plus contemporaine. A une chanson d’amour libanaise des frères Rahbani répond le juédo-espagnol d’un traditionnel séfarade, tandis qu’une Prière de Saint Nicolas de Myre de Pärt et un extrait de la Liturgie de Saint-Jean Chrysostome de Rachmaninov font ressurgir les antiques saveurs du slavon. Après une polyphonie bulgare, Jean-Louis Florentz, grand collecteur des rythmes et des langues africaines, donne à entendre les singularités de l’éthiopien liturgique dans Asmarâ, sur le Psaume 8. Nouant un chant soufi en arabe avec un Psaume de David en hébreu, le XVème siècle fait progressivement remonter la fraternité des peuples et des croyances jusque sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle au Moyen-Âge, avec un Codex Calixtinus entonné dans le choeur de la nef, où le public est invité à se rassembler, avant quelque bis plus swing, pour conclure un pèlerinage musical qui signe autant l’habileté inspirée de Simon-Pierre Bestion que l’inconditionnalité d’un partage portée par les mots et les notes. De magnifiques vibrations finales auxquelles nul ne peut rester insensible, par-delà ses éventuelles préventions.
Gilles Charlassier
Festival de musique sacrée de Perpignan, concerts du 6 et 8 avril 2023.
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