Opéra
Le délire Orphée aux enfers au Komische Oper de Berlin

Le délire Orphée aux enfers au Komische Oper de Berlin

28 March 2023 | PAR Paul Fourier

Barrie Kosky est particulièrement à son aise dans l’Opéra bouffe offenbachien. Il le démontre, une fois, encore au Komische Oper de Berlin, même s’il a la main lourde sur les récitatifs.

Si Orphée aux enfers précède les futurs grands opéras-bouffes d’Offenbach (La belle Hélène, La Périchole, La vie parisienne…), le grain de folie qui balaye tout sur son passage est déjà bien aiguisé en 1858. Orphée bénéficie, en outre, du fait d’être la première œuvre qui s’épanouit dans un cadre allégé des contraintes administratives qui pesaient alors sur ce répertoire léger.
Offenbach n’est pas encore le Prince (et amuseur) musical du Second-Empire, ni le « petit Mozart des Champs-Élysées » comme l’a surnommé Rossini. Il porte pourtant déjà bien haut le goût de l’impertinence, voire de l’irrévérence.
Pour son « opéra bouffon », il va oser profaner ce sur quoi s’adossait le drame lyrique, c’est-à-dire parodier les héros de l’antiquité. Il se permet de faire une référence explicite au Orphée et Eurydice de Gluck (1774), dont le ton était autrement plus sérieux. Car le livret (d’Henri Crémieux et Ludovic Halévy), empli de brillantes saillies, ne recule ni devant la gaudriole ni devant les allusions sexuelles. Avec Orphée aux enfers, Offenbach annonce au public les propriétés de son extraordinaire succès, pour les vingt années à venir.
L’action nous déplace donc dans un Olympe en folie avec un couple Orphée et Eurydice très infidèle, et une Opinion publique semble porter à elle seule les réprobations des contemporains outrés d’Offenbach, ce qui en fait un personnage qui n’a pas perdu de sa pertinence. Le compositeur sait allier des passages pétillants d’une incroyable drôlerie (“Et hop ! Et hop !”) ou d’une grivoiserie assumée (le duo de la mouche), des ballets endiablés, comme l’infernal galop (qui deviendra bientôt French cancan) à de mélodieux airs lyriques.

Une équipe déchaînée

L’ensemble est porté par une équipe totalement homogène, à la tête de laquelle l’on retrouve les excellents Tansel Akzeybek (Orphée) et Bryony Dwyer (Eurydice), ainsi qu’Ulrike Helzel (l’Opinion publique), Max Hopp (John Styx), Peter Bording (Jupiter), Karolina Gumos (Junon), Mirka Wagner (Vénus), Alma Sadé (Diane), Nadine Weissmann (Cupidon), Peter Renz (Mercure), Tim Dietrich (Mars).
La soirée réserve également une très belle surprise, car Ivan Tursic étant souffrant, c’est Mathias Vidal qui, de la fosse, incarne vocalement Pluton avec une indéniable classe, une superbe projection, une voix idéale pour le répertoire et, disons-le, un français savoureux qui tranche avec celui, plus approximatif de ses collègues.
Pour compléter le tableau, l’on doit citer les extraordinaires choristes et danseurs du Komische Oper, ces derniers dirigés dans des délires chorégraphiques signés Otto Pichler. Quant à Adrien Perruchon, à la baguette, il mène, avec l’énergie requise, ces excentriques aventures olympiennes.

Barrie Kosky toujours à l’aise dans la dynamique chantée, plus pesant dans la parole.

Le metteur en scène australien a créé cette production d’Orphée en 2019, dans la Haus für Mozart de Salzbourg. On sait qu’il est parfaitement à son aise avec Offenbach. Tirant son souffle de l’esprit de la création, en ne se posant pas de limites de bienséance, il est même, certainement, l’un de ceux qui sont, actuellement, le plus en phase avec le compositeur.

Mais, dans ce répertoire, Kosky est, avant tout, un maître du mouvement et ce sont les scènes musicales avec solistes, choristes ou danseurs qui le démontrent le mieux. Le problème, c’est qu’Orphée est un Opéra-bouffe, dans lequel les dialogues sont omniprésents et, entre deux moments – chantés ou dansés – « déjantés », la mécanique de Kosky retombe comme un soufflé. Les passages parlés (en allemand) sont parfois très longs et si le travail exécuté par Max Hopp – énoncer à lui seul l’ensemble des dialogues des autres protagonistes, onomatopées comprises – est une véritable performance, il eut, sûrement, été salutaire de raccourcir ces moments, afin de conserver une meilleure dynamique.

Cela étant, le public sort de la représentation dans une forme « olympique ». Une fois de plus nous avons confirmation que, pour cette œuvre comme pour d’autres, il ne faut jamais hésitez : à Berlin, se précipiter au Komische Oper, c’est s’assurer d’y trouver toujours cet esprit délirant et créatif qui caractérise bien peu d’endroits au monde, un esprit générateur de pur plaisir.

Visuels : © Monika Rittershaus

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