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Cinéma du réel 2023 : le documentaire de création plus vivant que jamais

Cinéma du réel 2023 : le documentaire de création plus vivant que jamais

28 March 2023 | PAR Geoffrey Nabavian

La Compétition du Festival international de films documentaires donne à croiser en 2023 des cinéastes au style très vivant. Le Cinéma du réel continue à se tenir jusqu’au 2 avril.

Jusqu’au 2 avril, le Cinéma du réel permet de s’immerger dans un état des lieux annuel du documentaire de création. L’éditorial de cette 45e édition signé par Catherine Bizern, déléguée générale et directrice artistique, annonce une programmation tissée avec « des films qui s’efforcent de créer une discontinuité dans le réel ». A ce titre, on retrouve notamment en son sein des rétrospectives consacrées aux travaux cinématographiques de Franssou Prenant, Olivier Zabat et Jean-Pierre Gorin. Trois artistes experts à porter sur le réel de leur temps des regards singuliers, engagés, et surtout toujours en questionnement. Et trois œuvres pas si visibles que ça, qu’on est heureux de voir rassemblées. Trois rétrospectives qui restent à découvrir au sein de la section Le Monde, autre.

A noter aussi qu’un autre ensemble de projections spéciales choisit de se centrer sur Varan Vietnam, structure de production de films née en 2012 – complétée ensuite quelques années plus tard par des ateliers de formation – et issue en fait des Ateliers Varan, Ateliers de formation au Cinéma direct lancés par Jean Rouch en 1978. Le but restant de donner à voir les travaux des artistes rassemblés sous cette égide, s’échinant à prendre le pouls sur le vif d’un Vietnam en mutation, loin des productions officielles. Sans oublier les œuvres marquées entre autres par une volonté engagée de la section Front(s) populaire(s), qui se centre cette année sur l’idée de rapport à la terre et à la nature. « Être du côté de l’esprit de la terre c’est à la fois se poser la question de ce qui permet à un milieu vivant de vivre une vie bonne, mais aussi  de ce qui le menace, et rend la vie difficile », écrit Catherine Bizern dans son éditorial fait pour cette section.

Chienne de rouge en Compétition : un thème, des croisements, de l’homogénéité

Au sein de la Compétition, en cette année 2023, on découvre ainsi Chienne de rouge, le nouveau documentaire de Yamina Zoutat (Retour au Palais). Un long-métrage distribué par Shellac. Il a pour sujet le sang : un objet d’étude – artistique – éminemment vivant. La réalisatrice va surtout s’intéresser, à ce titre, à comment il est amené à circuler d’une personne à une autre. Pour ce faire, elle convoque différentes temporalités et différents réels. À l’écran, elle met ainsi ses souvenirs de journaliste télé du temps du procès consacré au sang contaminé, en 1999, tout autant que les faits et gestes d’une doctoresse greffeuse ou d’une femme avec deux ADN, en passant par d’autres plans de différente nature encore.

Son long-métrage apparaît assez remarquable, au final. Il est écrit avec une finesse et une économie qui laissent à son sujet toute la place pour déployer ses multiples dimensions. Il y a d’abord cet usage de la voix-off, si posée et mélodieuse. Elle livre des anecdotes personnelles touchant un sujet historique – ledit procès du sang – avec une simplicité qui fait toute sa place à l’humanité. Des faits terribles nous parviennent, sans que leur horreur ne soit du tout appuyée à outrance. Les images, elles, alternent entre le concret et l’abstrait. Elles évitent toute redondance : la réalisatrice a parfaitement la maîtrise de l’aspect « collage » et elle use de lui avec la qualité la plus essentielle, l’intelligence. Une intelligence qui apparaît aussi très personnelle. Cette méditation sur le sang entraîne donc le spectateur, de par sa fluidité. Son caractère novateur et moderne semble émerger de la vie qui la traverse.

Ici Brazza – Chronique d’un terrain vague : une caméra qui sait s’attacher aux matériaux

Au sein de la même section se distingue également Ici Brazza – Chronique d’un terrain vague, le nouveau documentaire d’Antoine Boutet (Sud Eau Nord Déplacer). Lui se centre, avec un peu de recherche formelle encore une fois, sur les dernières heures d’un terrain quasi vide allant être construit, à Bordeaux. Un terrain où la vie court tout de même, sous différentes formes, et au sein duquel un nouvel idéal d’existence doit s’élever.

Ce « projet de vie » se rapporte en fait à des immeubles modernes, parfaits pour accueillir des familles. Il est bien entendu, comme toujours, présenté sur des banderoles et autres panneaux. Le réalisateur le cerne. Il choisit au final de signer un film qui n’use pas majoritairement du plan fixe long : il préfère le mouvement. Il utilise ce dernier comme pour se mettre au diapason du réel, surtout : ainsi lorsqu’il filme la grande toile présentant les projets d’immeubles à venir, il donne à voir surtout les coups de vent qui l’agitent. Comme pour mieux traquer la manière dont le vivant naturel et les actes pensés par les humains essayent de fonctionner ensemble. De façon respirante et inspirante, sans appuyer de message.

Le Cinéma du réel continue à dévoiler sa programmation jusqu’au 2 avril, à Paris. Informations et réservations : https://bit.ly/3TT5oW5

Visuel 1 : Chienne de rouge © Shellac

Visuel 2 : affiche de l’édition 2023 du Cinéma du réel

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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