Cannes 2018, Hors Compétition : “10 years Thailand”, projections futuristes pas totalement convaincantes
Dans la section Hors Compétition de Cannes 2018, on découvre ce film en quatre segments, signé par quatre réalisateurs thaïlandais dans le but “d’averti[r] sur la situation politique actuelle en Thaïlande”, où une dictature militaire gouverne depuis 2014, et pourrait tout verrouiller d’ici dix ans. Pas assez écrit, pour l’un des films courts, trop, pour un autre, et un peu bref en termes de réflexion pour un autre encore, les courts de ce “film à huit mains” valent pour leurs bonnes idées. Surtout le troisième “sketch”, qui constitue, lui, un vrai délire ouvert qui fait peur.
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Dans le troisième segment du film 10 years Thailand, un monde futuriste tout en couleurs bigarrées à la limite du dessin animé est donné à voir : une femme en habits militaires (la Thaïlande? la dictature?) règne sur une sorte de centre aéré maléfique, où elle apprend à ses “enfants” à marcher droit. Dans son bureau secret, elle observe le monde extérieur sur d’innombrables écrans. Et en réalité, elle n’en est même plus au stade de l’observation : elle contrôle tout. Il suffit qu’elle appuie sur un bouton pour que tous s’immobilisent. Et quand la nuit vient, elle envoie des hommes pris au hasard dans le monde vers les étoiles, grâce à un canon lunaire. Passant à travers une subtile et sanglante machinerie, ces humains deviennent ensuite le firmament contemplé par cette étrange femme…
Habité par une foule de procédés techniques différents, quasi muet, et signé par le cinéaste le moins connu du quatuor, Chulayarnnon Siriphol, ce segment impressionne. Sa force est de mettre ses procédés de mise en scène ultra-stylisés non pas au service d’une seule idée, mais d’une foule de symboles ouverts. Sa virtuosité n’a d’égal que l’ouverture d’esprit dont il témoigne. Ce petit film présente un futur vivant, maléfique, fascinant, dangereux.
Lorsqu’ils réfléchissent sur l’avenir de la Thaïlande, pays miné aujourd’hui par le “nouveau nationalisme […] maintenant promu” (comme l’explique la fiche du film sur le site de Cannes), les trois autres cinéastes se montrent bien moins jusqu’au-boutistes, et un peu tièdes peut-être. Aditya Assarat (Wonderful Town) signe un segment romantique aux personnages irritants sur une exposition de photographies contrôlée par des militaires. Un peu court, en termes de réflexion. Le même mal touche Apichatpong Weerasethakul, qui signe un sous-Cemetery of splendour (critique ici) où des personnages font du cinéma et de l’agriculture en paroles tout autour d’un monument que des ouvriers ensevelissent (ou déterrent?). Ce petit film apparaît décousu.
Quant à Wisit Sasanatieng (Les Larmes du Tigre noir), il orchestre une fable d’action futuriste à l’univers frappant, mais au scénario déjà-vu… Le temps de quelques idées fulgurantes, ces trois autres films courts accrochent un peu. Mais ils font un peu figure de brouillons à côté du cauchemar calme orchestré par Chulayarnnon Siriphol… Comme pour Donbass, présenté également à Cannes, faut-il des références géopolitiques pour comprendre toutes les idées ? Peut-être. Mais le film de Sergei Loznitsa a une ampleur qui joue pour lui, aussi…
“Film à sketches” (ou segments) politique présenté à Cannes 2018 en section Hors Compétition, 10 Years Thailand n’a pas encore de date de sortie dans les salles françaises.
Retrouvez tous les films du Festival dans notre dossier Cannes 2018
Visuels : © Ng Ka Leung / Andrew Choi