
Péguy, le visionnaire
« Péguy, Le Visionnaire » de Samuel Bertholin met en scène un jeune journaliste qui rencontre Charles Péguy pour en dresser le portrait. Au fil des échanges, se dessine une figure complexe dont l’œuvre trouve, à bien des égards, des échos avec l’actualité. Pour la metteuse en scène Laetitia Gonzalbes, il est indispensable de partager les idées de Péguy, « absolument passionnantes et (qui) résonnent si fort aujourd’hui ».
Il n’y a pas qu’un Péguy. Il y a l’homme issu d’une famille modeste, reconnaissant à l’égard de ses enseignants, qu’il nommait « les hussards de la République » et qui ont su voir en lui un potentiel hors du commun. Il y a le Péguy militant, dreyfusard convaincu. Il y a le Péguy socialiste, dans le sillage d’un Proudhon et d’un Leroux, un temps admiratif de la pensée de Jean Jaurès avant de rompre tout à fait avec elle. Il y a le Péguy taxé ‘d’anarchiste individualiste’ en raison de son refus de propagande, d’uniformité, de pensée unique. Il y a le Péguy chrétien, mû par un idéal moral, d’honnêteté et d’humanité, mais pourtant blâmé d’hérétique par certains de ses contemporains. Il y a aussi le fervent disciple d’Henri Bergson qui, selon les dires du philosophe lui-même, est l’homme qui a le mieux compris sa pensée. L’exigence de franchise et de droiture qui a nourri sa vie n’est pourtant pas antinomique avec un caractère passionné. Dans la pièce, l’écrivain se confie sur l’amour qu’il a pour sa femme mais aussi sur les sentiments qu’il éprouve à l’égard de Blanche, avec qui il entretint une relation purement platonique par respect pour celle qui partageait sa vie. L’un des plus grands auteurs du XXème siècle, fondateur de la revue des Cahiers de la Quinzaine, dont la devise était de «dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste» est difficile à enfermer dans une case. Et c’est peut-être cette liberté de penser qui a suscité autant d’incompréhensions et de reproches.
Sur scène, le comédien Bertrand Constant est seul à incarner tous les personnages, de Péguy au journaliste, en passant par les différents personnages qui ont marqué la vie de l’auteur. La scénographie est sobre, laissant au comédien tout l’espace pour les inventer, leur donner corps, et au public celui de déployer son imaginaire. « Cette boîte noire dans laquelle naissent histoires et personnages, ce vide, appelle le spectateur à composer avec son imaginaire », écrit la metteuse en scène. Le travail sonore de Tim Aknine et David Enfrein n’est pas envahissant mais installe discrètement une atmosphère, en nous invitant à voyager dans le temps.
La pièce donne envie de découvrir ou redécouvrir les textes de l’un des plus grands auteurs du XXème siècle, dont la pensée échappe à tout système dichotomique, alliant anti-modernisme et vision personnelle du progrès.
Auteur : Samuel Bertholin
Interprète : Bertrand Constant
Réalisateur/Metteur en Scène : Laetitia Gonzalbes
Crédit Photos : Yann Gouhier
Théâtre de la Contrescarpe
Jusqu’au 01/07/2018
Les vendredis et samedis à 21h30
Les dimanches à 17h
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