
“La Grande Montée” : opéra rock sur Marco Pantani, où Cheveu s’allie à des artistes brillants
Au croisement des arts, cette Grande Montée. Mis en scène par Julien Fišera – dont on a pu voir Opération Blackbird, au Théâtre de Vanves, deux soirs plus tard – ce spectacle fait se croiser le rock du groupe Cheveu et les talents lyriques de multiples interprètes – de l’Ensemble Camera Sei aux chœurs issus de Nanterre – habillés de couleurs bigarrées. Une production très contemporaine et très stimulante.
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Cette Grande Montée, qui porte sur une chute et une mort, mérite d’être évoquée au présent. On n’a pu la voir qu’un seul soir, au sein de la grande salle du Théâtre des Amandiers de Nanterre, mais on aimerait qu’elle reparte sur les routes… Son sujet ? Le célèbre cycliste Marco Pantani, mort en 2004 à Rimini en Italie donc. Une figure évoquée au fil d’une dizaine de titres musicaux, ici portés au théâtre de façon brillante. La musique se déploie d’emblée, et d’entrée, le style déclamatoire de David Lemoine, chanteur de Cheveu, passe parfaitement la rampe de la scène théâtrale. Déguisé en diable, il enjoint Marco à devenir champion. La balade qui suivra se fera en fait au fil d’une suite de morceaux plus que brillants, très variés, dans lesquels la guitare du très doué Étienne Nicolas aura droit à ses moments de gloire. Des créations bientôt éditées sur disque, et on s’en réjouit grandement.
Taillée pour un vaste plateau, parfait réceptacle à la folie déployée, cette création affiche une forme imposante, et marquante. Ce plateau sait se faire fort bien occuper au cours de la représentation. Il devient piste du Tour, lieu mystique propre aux grands jugements, et espace public habité par les fans. La mise en scène de Julien Fišera donne aux énergie l’espace pour circuler et s’unir, en nous laissant de la place pour imaginer le cadre nous-mêmes. Tout est ouvert. Et les cinq chanteurs lyriques de l’ensemble Camera Sei entrent superbement en dialogue avec la musique de Cheveu, avec le concours de Maya Dunietz, ici active aux arrangements et à la collaboration musicale. Ainsi, lorsque deux des gars du groupe vocal s’imposent, sur le second morceau, le mélange de style parlé, d’histoire racontée, et de parties lyriques mène à l’installation d’un climat mystérieux, et plutôt envoûtant. Et quand Emily Lechner et Léa Grillis – qui s’offre aussi une autre très belle rupture chantée, sur fond de point météorologique – déplorent, toutes cordes vocales dehors, la mort de Marco, l’effet est saisissant : le trivial atteint une dimension sacrée. Globalement, le spectacle monte jusqu’au mythique. Porté par des rythmes joués pied au plancher, et un son aux teintes toujours crades, il transmet une énergie vivifiante et imposante. Cette alliance d’art classique et contemporain pensé, et incarné, absolument à fond, et de notes arrachées au réel, lui donne une ampleur d’opéra rock. Qui serait absente sans la participation des chanteurs, nombreux, issus du Conservatoire de Nanterre : le chœur Adagio, dirigé par Valérie Gallet, et les chœurs Musiques Actuelles, chapeautés par Laura Etchegoyhen.
Le ton de cette Grande Montée, curieux, s’accentue au fil de l’usage de la vidéo, discrète, du déploiement des costumes, bariolés, et du synthé d’Olivier Demeaux, qui prend des teintes sonores crépusculaires. Si l’on verrait bien tous les chanteurs être dotés d’un micro, afin que les paroles des chants, qui forment le récit, nous parviennent en chaque endroit, on applaudit, heureux et transportés, à cette tentative risquée et emplie d’envies artistiques – monnaie courante chez Cheveu – qui donne à voir aussi une bien belle union d’énergies.
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Visuel : © Benjamin Nuel / Arnaud & Bertrand Dezoteux