
“Les amours d’Odon et Fulvia” : une délicieuse pastorale d’Edith Wharton
L’histoire retient que c’est Henry James, à la lecture de ce premier roman d’Edith Wharton, qui en nota les qualités écalantes et conseilla à son auteure de les appliquer aux mœurs de son temps. C’est ainsi que la romancière américaine livrera une ribambelle de romans plein d’esprit, dont Le Temps de l’innocence (prix Pultizer en 1921) et Chez les heureux du monde.
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Il y a chez Edith Wharton comme chez Henry James, qui se fera naturaliser britannique, un penchant invétéré pour l’Europe. Parmi la haute société américaine de la seconde moitié du XIXe siècle, l’Italie et le Grand Tour font encore rêver.
Il suffit de consulter la bibliographie d’Edith Wharton pour s’en convaincre : entre deux romans décrivant les mœurs de la côte Est, on trouve des essais sur Les villas et les jardins d’Italie ou les Paysages italiens. Parlant couramment l’italien (ainsi que le français, l’allemand), Edith passait au moins quatre mois par an à l’étranger, bien souvent dans la péninsule italienne.
Cette connaissance fine du territoire et de son histoire n’a sans doute pas manqué d’impressionner Henry James. À quarante ans, Edith commet un ambitieux premier roman de 600 pages, qui a pour cadre l’Italie pré-révolutionnaire. Le récit suit la destinée du jeune Odon Valsecca, partagé entre les idéaux des Lumières et les impondérables du destin. Placé en nourrice dans une ferme, sa jeunesse est l’occasion pour l’auteur de décrire le fermage et la misère des régions paludéennes de l’Italie du nord. Le jeune homme sera ensuite amené à fréquenter les milieux subversifs à Turin, où il tombe amoureux de Fulvia.
Le destin achèvera de séparer les amoureux, Fulvia choisissant l’exil en Suisse, tandis qu’Odon devient le duc de Pianura. Si le roman pose en filigrane des questions toujours d’actualité – sert-on mieux des idéaux dans sa tour d’ivoire ou en tentant de les mettre en pratique -, on peut toutefois lui reprocher quelques maladresses dans la construction. Certaines tranches de la vie des personnages sont survolées, alors que leur évolution avec la maturité aurait gagné à être développée, tandis que d’autres passages tirent peut-être en longueur.
Il en reste néanmoins une vision rafraîchissante du roman historique, qui donne envie de partir sur le champ chez nos voisins transalpins, pour voir si l’histoire y affleure toujours aussi facilement au détour des routes de campagne…
“(…) Dans chaque visage, depuis celui du premier duc jusqu’à celui de son propre grand-père en perruque et en cuirasse, il discerna le même symptôme de décadence : ce dédoublement de la volonté qui, dans une race au tempérament délicat, est le fruit fatal d’une prééminence qui n’a jamais été remise en question. Ils avaient gouverné durant trop de siècles et en avaient trop joui ; et le pauvre infirme qu’il venait de laisser à ses tristes scrupules et à ses noirs pressentiments ne semblait être que la cosse vide de passions depuis longtemps épuisées.” p. 177
Les amours d’Odon et Fulvia, traduit de l’anglais (américain) par Jean Pavans, Editions Flammarion, 600 pages, 22 €, février 2016.