
Arras Film Festival, Jour 4 : violence russe, soleil albanais, débat critique pointu, cocktail de fin idéal
Un peu de Russie, avec ses hommes maudits. Un peu d’Albanie, dont on ne voit jamais de films. Deux bonnes réalisations, suivies d’un débat pour le Prix de la Critique. Belle et riche dernière journée de festival.
Le dernier jour d’un festival, rien de tel qu’un cocktail russe. Histoire de se faire peur, et de sentir de près la nature maudite, et donc assez belle, de l’homme. Même si on préférerait ne jamais être à la place des personnages. Dimitri, le héros de The fool, film de Youri Bykov en compétition, nous en convainc une fois de plus. Lancé dans la nuit russe de sa petite ville, il va trouver les puissants pour les informer qu’un immeuble HLM, fissuré de bas en haut sur sa façade, est sur le point de s’effondrer. Et de tuer 820 personnes. Le film, bien mis en scène, va surtout s’attacher aux visages de ses protagonistes, et nous donner à voir leurs tourments intérieurs. Sa splendide troupe d’interprètes fait que l’on s’attache à cette trajectoire d’un homme bon, qui découvrira au final qu’il est seul. Malgré un scénario déjà vu et une fin qui déçoit – mais c’est un choix conscient – on marche dans ce piège russe. Pour lire notre critique de The fool, cliquez.
On enchaîne avec notre dernier film de la compétition. Ce sera l’un des meilleurs : Bota, des albanais Iris Elezi et Thomas Logoreci (coproduit par le Kosovo et l’Italie) est une comédie dramatique où tout se passe autour d’un bar, installé dans un baraquement situé dans une petite plaine, pas loin des marais albanais. Un bar qui appartient à Beni, petit escroc frimeur. Sa cousine Juli et sa jeune maîtresse Nora y sont respectivement barmaid et serveuse. Et elles vont être amenées à se détacher de ce coin d’Albanie, en réalité habité par des secrets du passé. Bota est une chronique solaire, gaie, où la campagne verdoie, où l’immobilité des personnages n’est pas soulignée. Avec rien, si ce n’est d’excellents acteurs, le couple de cinéastes a réussi à tracer la chronique d’une situation figée. Sans lourdeur. Pour lire notre critique de Bota, cliquez.
Les neuf films de la compèt’ sont maintenant vus. On peut assister à la délibération du jury qui doit remettre le Prix de la Critique. Présidé par Jean-Jacques Bernard, travaillant pour le groupe de chaînes Ciné + (anciennement Cinécinéma), et membre du conseil du Syndicat Français de la Critique de cinéma, dont il fut président. Un jury qui a retenu cinq films, sur les neuf. Il convient maintenant d’en choisir un, en un peu plus d’une heure. Bota provoque des réactions trop tièdes pour prétendre à la distinction : pour la plupart des cinq membres, l’enjeu scénaristique n’arrive que dans le dernier quart d’heure. Marine Durand, venue pour Let’smotiv, magazine culturel du Nord et de la Belgique, défend beaucoup Aces(cliquez ici pour en savoir plus) dont elle trouve qu’il mêle bien grandes et petites histoires espagnoles. Les hésitations du personnage plaisent à certains, pas à d’autres. Mais ce sont trois films qui, en fin de compte, rallient le plus de suffrages : Fair play(cliquez ici), « qui traite de deux femmes dans une thématique masculine » (dixit Véronique Le Bris, qui a travaillé au Nouvel Obs’, à Première, et a fondé Ciné-Woman) et « décrit très bien tous les enjeux de son époque » (J.-J. Bernard) ; The fool ; et Quod erat demonstrandum(cliquez ici). Gérard Lenne (Président d’honneur du Syndicat de la Critique, au long parcours) trouve ce dernier complexe et subtil. Il sait distiller un climat « insidieusement étouffant », celui d’une « dictature molle ». Et le noir et blanc transmet « le caractère figé de la Roumanie de cette époque ». Jean-Jacques Bernard, qui a beaucoup admiré The fool, et Nathalie Chifflet (journaliste pour Bande à part et pour le groupe EBRA), défendront le film de Youri Bykov. Mais finalement, Gérard Lenne convaincra les défenseurs de The fool que, s’il peut avoir d’autres récompenses, il n’est pas fait pour un Prix de la Critique. Car sa visibilité est déjà quasiment établie. C’est Quod erat demonstrandum qui remportera le prix, après que les « Top 3 » de chacun aient été donnés. Pour en savoir plus sur ce film, cliquez ici.
A Toute la culture, on avait aimé son noir et blanc qui renforçait le côté abstrait des séquences. Mais on aurait donné le Prix à Bota, premier film également, plus abouti dans son art de faire émerger une abstraction. Et puis, plus ensoleillé… Mais ça…
Visuels : The fool © Rock / Bazelevs / Premium
Bota © Erafilm Production
De gauche à droite : Gérard Lenne, Marine Durand, Jean-Jacques Bernard, Véronique Le Bris et Nathalie Chifflet © G. Nabavian