
Espionnage et psychanalyse chez William Boyd
Connu en France depuis la traduction de ses romans Un Anglais sous les tropiques (1984) et Comme neige au soleil (1985), l’écrivain britannique William Boyd, scénariste et réalisateur à ses heures, nous revient avec un véritable polar, qui en veut à notre inconscient.
Peu avant la Grande Guerre, un jeune comédien anglais nommé Rief Lysander, engagé dans une relation de longue durée avec une dénommée Blanche, se trouve confronté à un problème d’impuissance. Qu’à cela ne tienne, il prend le chemin de Vienne où, a-t-il entendu dire, la psychanalyse encore balbutiante devrait pouvoir l’aider. Hasard ou acte manqué, il se trouve que la jeune et séduisante patiente qui le précède dans le cabinet de son thérapeute sera le remède à ses maux. Mais à quel prix… commence alors un tourbillon de faux-fuyants et de chausse-trappes, de pièges et de cavales, entre notre héros et ses amours, et des diplomates anglais aux noms inquiétants, qui semblent jouer à chat perché dans les pays d’une Europe de plus en plus trouble.
Au-delà des rebondissements subtils que ménage notre auteur pour nous tenir en haleine, nous retenons ici l’habileté de la construction, dans ce récit qui alterne les narrateurs ainsi que les modes de narration. En bon scénariste, Boyd ne néglige pas l’intérêt des dialogues pour faire progresser l’action. Toutefois, il leur adjoint avec malice les digressions appliquées de Lysander dans son « journal de lui-même », un exercice conseillé par son psychanalyste, auquel il donne le titre d’« investigations autobiographiques ». Tout l’art de Boyd réside dans ce savant entrelacs, qui nous fait douter de tout et de tous, tant la barrière entre le réel et l’imagination est poreuse, s’évertue-t-il à nous rappeler.
Boyd s’amuse au passage à confronter notre héros à moult figures imposées de la psychanalyse, de la dette envers le père aux réminiscences coupables, le tout dans un contexte politique de plus en plus tendu. Boyd plante les décors comme il campe les personnages, et navigue en toute aisance de Vienne à Londres, et des tranchées aux galeries d’art. Un roman intriguant, qui nous rappelle sans ambages le rôle déterminant de la « fonction fabulatrice » chez l’Homme.
William Boyd vient d’être désigné pour rédiger la suite des aventures de James Bond, et prolonger ainsi l’œuvre de Ian Fleming, après Sebastian Faulk et Jeffery Deaver : gageons que 007, à défaut de plomb dans la cervelle, saura désormais user de l’arme psychologique…
« La vitesse à laquelle on se plie aux circonstances les plus étranges l’étonnait toujours – voilà que je prends un verre avec une femme qui a tenté de m’assassiner, songea-t-il. Il la dévisagea à travers la table et enregistra son absence de colère, d’indignation. Tout ce qu’il voyait, c’était une femme très séduisante, vêtue avec élégance. » p. 357
L’attente de l’aube, William Boyd, traduit de l’anglais par Christiane Besse, éd. du Seuil, 416 p., 22 €.