
Jiuta au Châtelet : ode au raffinement
Tout juste honoré du titre de “trésor national vivant” l’une des plus grandes distinctions japonaises pour les artistes et artisans excellant dans une discipline traditionnelle, le trop rare Tamasaburo Bando vient se produire sur la scène du théâtre du Châtelet pour trois représentations exceptionnelles de danse kabuki dans une mise en scène à la fois flamboyante et inédite en Europe.
Le programme est composé de trois tableaux: Yuki (La neige), Aoino-ue (dame Aoina dans Le Dit du Genji) et Kanega-misaki (Le Promontoire de la cloche du temple). Tamasaburo Bando, paré de magnifiques kimonos et le visage cérusé est étrangement expressif malgré son apparente impassibilité. Il se produit seul sur la scène exécutant ses chorégraphies à la fois lentes et sophistiquées où chaque geste est signifiant. Il est accompagné par Seikin Tomiyama au chant et shamisen (instrument de musique à trois cordes pincées) également Trésor national vivant du Japon et de son fils Kiyohoto Tomiyama au koto (grand instrument de musique à cordes pincées).
Le premier tableau Yuki narre le souvenir doux-amer de l’attente amoureuse d’une ancienne Geisha un soir de neige. La pièce suivante Aoino-ue ou Dame Aoino est une scène extraite du célèbre Dit du Genji, considéré comme le plus vieux roman psychologique du monde. Une femme jalouse se bat contre ses pulsions, mais ces dernières se matérialisent dans une chambre sous la forme d’un fantôme vivant. La dernière partie Kanega-misaki ou le promontoire de la cloche du temple extrait d’une très célèbre pièce de kabuki où une jeune femme exprime ses remords suite à la mort de son amant, sous les cerisiers en fleurs. Ces trois extraits, choisis par le maître, expriment toutes les nuances du sentiment amoureux féminin dans un véritable crescendo dramatique. A la fois plein de délicatesse et de nostalgie, le tragique côtoie le sublime, mais toujours avec cette retenue toute japonaise. On remarque une montée en puissance tout au long de la représentation. Aussi Kagena-misaki, avec sa mise en scène soignée et dépaysante, son chant à deux voix et la danse délicate de Bando s’avère être le véritable acmé du spectacle.
Jiuta (littéralement Ji= province et uta=chanson), titre mystérieux figurant sur les affiches est en fait un type de danse kabuki traditionnelle accompagnée de chants mélodieux pratiquée depuis le XVIe siècle dans le Kansaï, véritable centre de la culture traditionnelle japonaise avec Kyoto l’ancienne capitale impériale et Osaka. Le jiuta-mai (mai=danse) est qualifié de danse près du sol car un des deux pieds du danseur est toujours posé à terre. Elle repose sur des séries de mouvements très codifiés allant du tour sur soi, au plus infime mouvement de tête en passant par des effets de manches (au sens propre) et l’utilisation d’accessoires tels l’ombrelle ou l’éventail. Nécessitant des années d’entrainement pour en maîtriser toutes les subtilités, le jiuta proposé par le théâtre du Châtelet atteint le paroxysme de son raffinement grâce à Tamasaburo V Bando, que beaucoup considèrent comme le plus grand onnagata (interprète de rôle féminin) vivant. L’onnagata est la véritable quintessence de l’idéal féminin, incarné par des acteurs intériorisant complètement l’essence de la féminité.
Seule petite réserve, il faut un petit temps d’adaptation pour lire les surtitres et ne rater aucun mouvement de l’artiste. Pour finir, le public a acclamé pendant de longues minutes les trois artistes et est reparti totalement conquis. Ce spectacle est une véritable perle rare qu’il serait très regrettable de laisser passer.
Visuels : ©Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet.
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