Rap / Hip-Hop
[Live Report] Lauryn Hill à la Fête de l’humanité : «Hill-stérique »

[Live Report] Lauryn Hill à la Fête de l’humanité : «Hill-stérique »

12 September 2016 | PAR Antoine Couder

Incroyable de bipolarité et de popularité, Lauryn Hill a entraîné le public de la fête de l’Humanité dans la nervosité de sa vraie/fausse présence scénique pour un concert extravagant d’une cinquantaine de minutes.

On sait tous plus ou moins que Lauryn Hill est à la ramasse. Dépressive et même un peu plus, elle a méticuleusement travaillé à saboter sa prometteuse carrière avant d’être rattrapée par le fisc et brièvement emprisonnée (mais n’y-a-t-il que les gens de couleur qui font de la prison pour fraude fiscale aux Etats-Unis ?). Ses prestations scéniques peuvent être totalement erratiques et pourtant traversées par des moments de grâce où le déséquilibre émotionnel semble finalement dompté pour laisser libre cours à son pur talent, qui la hisse au niveau des plus grands et également des plus grands blessés de la musique noire (et d’abord et surtout Stevie Wonder).

Un seul sourire. La Lauren Hill royale et tant désirée ne veut, ne peut durer plus que ne dure ce bref moment d’intensité où elle se donne toute entière.  « Le défi est d’aligner mon énergie sur le temps, saisir quelque chose qui n’est pas facilement classifiable ou saisissable, pour essayer de le rendre accessible à autrui… Parce que je me soucie si profondément du processus artistique, je scrute, j’ai des tendances perfectionnistes, tout en conservant un espace pour la spontanéité, ce qui n’est pas un processus facile avec les nombreux imprévus sur la route. » Vendredi sur la grande scène de la fête de l’Humanité, elle arrivera un petit quart d’heure en retard et s’éclipsera à peine cinquante minutes plus tard, après avoir repris trois morceaux des Fugees dont l’annonce lui arrachera son unique sourire de la soirée. Elle confirmera, elle l’avait déjà montré un peu plus tôt,  qu’elle reste une grande rappeuse, puissante et techniquement irréprochable : la même qui nous avait démontré un jour de 1994 en quoi un flow engagé pouvait être absolument désopilant (le « some seek stardom » extrait du « Blunted of reality » des Fugees).

Jean déchiré et ventre apparent. Vêtue d’une grande toge blanche (Stevie !) sous laquelle elle porte ce qui ressemble à des collants en résille,  les cheveux courts et un collier de métal qui couvre entièrement son cou, c’est une reine nubienne qui chante derrière ses lunettes, assise ou bien debout. Les références à la grande période funk soul des années 1972/1973 sont évidentes. Les morceaux qui s’enchaînent sont pourtant et d’abord des perches tendues vers son chant qui se fait vite negro-spiritual, au sens littéral du terme. Tout du long, elle ne cesse de faire de grands signes à ses musiciens à qui elle semble indiquer les manœuvres délicates qu’il leur faudrait exécuter pour faire entrer un véhicule un peu encombrant dans un tout petit parking. A la regarder, on pourrait penser que ce n’est pas si compliqué et qu’il faut être un peu empoté pour ne pas comprendre ; d’où ces grimaces et cet air plus fataliste que désespéré qui accompagne son jeu de scène. Son chœur de trois chanteuses en jean déchiré et ventre apparent est particulièrement visé tant il semble ne pas répondre, mou et sexy, compatissant et finalement énervant pour celle qui, en quelque sorte, chante en prêches par dessus. Il y aurait d’ailleurs un article entier à consacrer aux mouvements empêchés de ce trio de petites trentenaires troublantes d’érotisme animal qui sentent la rue et le parfum bon marché. Mais bref.

Exposition maximale. Mais Lauryn ne s’en préoccupe que lorsqu’il s’agit de les guider ; telle une terrible professeur de chant, elle ne s’arrête sur rien, comme si elle voulait tout dire à chaque seconde. Du coup elle finit par surcharger les motifs (le Prince des mauvais jours), et nous fait regretter la poignée de chansons minérales et dépouillées de son fameux Unplugged qui contient autant de discours que de chansons : de longs interludes en forme de confession émaillant les magnifiques « I gotta find peace of mind », « M. intentional ou « Just like water ». Des chansons qui disent ce que devrait être une chanson ou comment on fait pour oser chanter une chanson. Elles reprennent sur le mode du psychodrame la grande désillusion des droits civiques, désillusion qui s’affirme et se confirme aujourd’hui avec les cruelles vérités brandies par le « Black lives matter » qui souligne le profilage racial et le ciblage spécifique des noirs par les forces policières de l’Amérique d’Obama.

Simplement au cœur. I find it hard to say chantait-elle sur la scène du studio MTV moins de deux mois avant le 11 septembre 2001. « I find it hard to say, that everything is alright/don’t look at me that way, like everything is alright ». Des mots hantés par la soul music qui touchent simplement au cœur de ce que chacun peut ressentir, comme si la chanteuse avait sacrifié son corps et son âme pour incarner une certaine vérité du petit peuple (et l’on comprend mieux sa présence à la fête de l’Humanité). Ce qu’elle incarne alors, dans la continuité du sacerdoce de la lutte pour les droits civiques, c’est la version people, la version « moi je »  de l’impossibilité d’acter les rêves et les utopies des années 60. Telle une hystérique des temps anciens, emmurée volontaire somatisant la parole divine, elle incarne l’objet du problème prenant place dans le long cortège des martyrs (Billie Holiday, Nina Simone) non pour lire mais pour « délire » ce à quoi nous sommes confrontés. Aussi, dans cette exposition maximale à laquelle elle se soumet, les 50 minutes de ce concert valent double et même un peu plus. Le public d’ailleurs ne s’y est pas trompé comme cette femme entre deux âges, seule et visiblement un peu folle qui nous a longuement parlé après le concert comme si nous étions de vieilles connaissances, insistant sur l’émotion et les frissons qui apparaissaient alors sur ses avant-bras. « C’est important les émotions, ça me fait quelque chose de revenir à ce qui a été ma jeunesse. Merci Monsieur, merci de m’avoir écoutée, et bonne soirée »

Antoine Couder

 Visuel : © Fête de l’Humanité

 

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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