
“L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage” : un Murakami empreint de mélancolie chez Belfond
A l’âge de vingt ans, Tsukuru Tazaki subit une perte irréparable : ses quatre meilleurs amis, restés à Nagoya alors que lui est venu faire ses études à Tokyo, l’excluent de leur groupe sans aucune explication. Du jour au lendemain, il perd les quatre seules personnes auprès desquelles il se sentait accepté. Même si quelque chose l’a toujours chiffonné : chacun des membres de leur petit groupe comportait un nom de couleur dans son patronyme, sauf lui, Tsukuru Tazaki, celui qui fait, qui construit. Suite à cette exclusion définitive, Tsukuru l’incolore traverse une longue période pendant laquelle il n’aspire qu’à la mort, et qui signe son passage à l’âge adulte. Revenu à la vie, il évolue sans enthousiasme et sans passion – jusqu’à ce qu’il rencontre Sara, la première femme avec laquelle il envisage de passer le reste de sa vie. Sauf que Sara comprend bien que si Tsukuru veut se donner entièrement à une histoire commune, il lui faut retrouver ses amis et comprendre pourquoi ces derniers n’ont plus voulu de lui du jour au lendemain. Commence alors le pèlerinage de Tsukuru pour retrouver ses quatre amis et comprendre ce qui s’est passé seize ans plus tôt.
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L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage est donc l’histoire d’une quête, celle du personnage principal à la recherche d’une vérité qui lui a été refusée seize ans plus tôt. Cet événement, qui a défini le reste de sa vie, l’a d’autant plus marqué que, comme souvent dans les romans de Murakami, il l’a plongé dans une profonde solitude. Pour mieux donner à comprendre au lecteur l’intensité de cette solitude, Murakami organise son récit en deux temps narratifs : le temps présent est celui de la rencontre avec Sara, qui mène Tsukuru vers la quête de la vérité. Le second temps employé est celui du passé, qui se situe à l’époque de la jeunesse de Tsukuru. Murakami éclaire ainsi la solitude actuelle de Tsukuru grâce au récit des abandons qu’il a subis dans ses rapports humains – jusqu’aux dernières lignes, qui laissent en suspens l’avenir de Tsukuru, entre promesse d’une solitude à jamais repoussée ou abandon ultime.
Même si, à l’inverse de la trilogie 1Q84, Murakami ne fait pas appel au fantastique dans ce dernier opus, la petite musique si reconnaissable du grand écrivain japonais est bien présente entre les lignes de L’incolore Tsukuru et ses années de pèlerinage. On y retrouve en effet les thèmes qui sous-tendent l’ensemble de son œuvre : l’importance des rêves, la quête de soi, l’expérience de la solitude et de la mélancolie, le pouvoir guérisseur de l’amour… Si L’incolore Tsukuru… fait d’abord penser à La Ballade de l’impossible, les aficionados du fantastique à la Murakami retrouveront bien ici l’univers de l’auteur, entre mélancolie et modernité.
Ainsi, avec ce nouvel opus, Murakami prouve une fois de plus qu’il est l’écrivain des rêves, ces rêves insaisissables et fugitifs, qui ressemblent parfois tant à la réalité que l’on pourrait les confondre… Murakami fait partie de ce club très fermé des auteurs qui savent créer un univers qui n’appartient qu’à eux, et qui est raconté avec tant de poésie et de conviction qu’il semble parfois bien plus tangible que le monde qui nous entoure.
L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, d’Haruki Murakami. Éditions Belfond. Traduit du japonais par Hélène Morita. Paru le 4 septembre 2014. 384 p. Prix : 23 €.