
Wajdi Mouawad, Temps : Grand Vent sur fratries
L’artiste associé du festival d’Avignon 2009 poursuit sa quête familiale avec un spectacle, diffèrent dans la forme mais qui dans le fond, en appelle aux Dieux Grecs pour dire l’horreur de crimes de l’intime. Avis de Temps et de tempête dans la salle Jean Vilar.
Cela commence par un silence des mots pour un assourdissant vent. Le plateau est blanc, en fond un rideau découvre quand il se soulève un immense ventilateur et une porte. Un homme, gris, se perd. Des femmes, en fourrure le cherchent. On comprend vite qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer et la question du spectacle est posée : Que doit-il oublier ou plutôt : “Qui se souvient ?”.
Dans la ville les rats rodent par centaines, semblant flairer l’abject. “Les morts parlent aux vivants avec les moyens dont ils disposent”.”Une injustice est restée impunie, c’est ça les rats.
Ne dévoilons rien même si, est cela est dommage, le spectateur apprendra extrêmement vite ce qui est arrivé à Noëlla, à sa mère Jackie. Et ce que ce père mourant, immense poète en même temps qu’immense salaud a fait.
Temps se déroule par 60 degrés, aux confins du Labrador. La ville est dure, minière. Dans ce cadre, la famille perdue depuis 40 ans se retrouve : deux frères jumeaux, l’un russe, l’autre soldat et une sœur muette. Pour accéder à l’histoire insoutenable, Mouawad invoque deux traductrices. On verra la langue des signes traduite en français puis en russe. Comme si le voyage des mots n’étant ici que douleur nécessitait un temps de passage.
Ce Temps aura duré 40 ans, “Il faut du temps pour faire court”. Mais la prophétie se réalisera et les rats pourront quitter la ville. Les comédiens, tous immenses, ont eu le texte entre les mains 48 heures avant la création à la schaubühne ; Economie de temps, de moyens. Le spectacle dure 1H45, il se modifie sans cesse nous confie en sortie de plateau Gérald Gagnon, jouant un frère. “La chronologie a déjà changée” nous livre-t-il.
“Temps “apparaît en mouvement tout en installant déjà des bases solides. Que ce soit dans le nom des personnages : le monstre s’appelle Lapierre (incroyable Jean-Jacqui Boutet), sa femme, aveuglée par l’amour : Blanche. Les scènes sont rythmées, par la voix de Bertrand Cantat dont les vibrations poussent à de dérangeantes pulsions et, par des flèches tirées à l’arc par celle qui jouant les chœurs antiques, vient tracer la route vers une fin inéluctable. Il y a des armes dans ce spectacle, le public sera même visé, mais ce qui fait mal ici est la question du faux secret, partagé et caché par tous.
Comme pour Incendies, Wajdi Mouawad nous saisit immédiatement pour nous emmener dans le cercle immonde de l’horreur présentée au sein de la plus petite société, celle de la famille. Temps offre plusieurs niveaux de lectures, questionnant aussi l’identité de l’artiste en affirmant qu’il ne fait pas un avec son œuvre. Temps ne montre pas. Temps dit, souligne, insinue. C’est le vent, où il fait très froid dans nos corps frissonnants ?
Visuel : @Jean Louis Fernandez
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MANFREDI Astrid
Je vais voir le spectacle le 22 mai. Ta chronique me donne très envie d’y aller :) Merci. Astrid