Théâtre
Littoral : les suppliantes de Wajdi Mouawad à la Colline

Littoral : les suppliantes de Wajdi Mouawad à la Colline

08 July 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Un nouveau soir de première sous le ciel parisien, on dirait que la vie reprend ! Mais pour parler de la vie, Mouawad revient à ses fondations, à ses morts sans nom, vue mer. À voir jusqu’au 18.

Et c’est face à une jauge normalement pleine, si ce n’est les sièges libres qui séparent les groupes, que le rideau se lève. Oui un rideau qui se lève, à l’ancienne, pour donner à voir l’espace vide, sans décor ni acteur. La zone pure de l’imaginaire pensée par Peter Brook est appliquée ici. Car même si les décors et les costumes tombent du ciel,  le plus souvent ce sont les mots, les cris, les lumières et la musique ( jouée live par Pascal Humbert et Charles Segard-Noircelère) qui font corps avec le texte.

Encore une fois le fantôme d’Avignon souffle.

Littoral a été créé en 1997 mais dans le détail c’est plus compliqué. 97 oui mais au Festival Théâtres des Amériques.  En 1999 la pièce s’empare du Cloître des Célestins. Et 12 ans plus tard le spectacle prend une aura immense quand il est donné dans le cadre du Sang des promesses de la Cour d’honneur. Mouawad est en 2009 l’artiste associé du Festival.

Mais revenons à Paris.

Nour (puissante Hatice Özer) baise tranquille quand le téléphone sonne au milieu de la nuit. C’est jamais bon quand “ça” sonne la nuit. Son père est mort. Et la folie commence. Et le spectacle avec. Il s’agit d’enterrer son père (emphatique Patrick Le Mauff) et cet acte qui parait simple devient comme toujours chez Wajdi l’occasion de pointer l’absurdité du monde et particulièrement celle de la guerre.

Et pour atteindre son but, Nour n’est pas seule. Pour affronter l’affreuse et plombante nouvelle, elle s’arme de son imaginaire,  ses rêves prennent l’allure d’une chevaleresse de la table ronde (tonitruante Jade Fortineau) et puis au fil du récit, le compagnonnage se fait réel. (La belle équipée sauvage est composée de Julie Julien, Hayet Darwich, Darya Sheizaf, Théodora Breux et Emmanuel Besnault)

Nous avons cité Brook, mais dans le cri, c’est Vincent Macaigne que nous retrouvons. D’ailleurs Wajdi Mouawad aurait pu nommer Littoral  “Au moins j’aurai laissé un beau cadavre” Car ce vers quoi le récit nous fait avancer est que l’idée d’avoir un corps à enterrer est déjà une bonne nouvelle.

A l’aide de quelques lignes de gaffeurs blanches et bleues nous avançons par les villages, jusqu’à l’eau. Et sur ce plateau vide, ce sont les parricides et les terres brûlées qui se déploient. “C’est trop”, dit un personnage. Et chez Wajdi, c’est souvent trop. En ouverture, il se disait heureux de prononcer l’annonce portable et confiait dans un sourire : “j’ai voulu faire plus long mais ça ne dure que 2H40 sans entracte”. 

Alors oui, il y a des tirades qui épuisent et des cris qui ajoutent de la douleur à la douleur. Nous sommes clairement dans la tragédie dans sa tessiture la plus grecque. Et comme toujours dans les tragédies, c’est quand l’intime touche à l’universel que la force devient oracle. Oui les morts doivent trouver une place mais pas au côté des vivants. Les fantômes ne peuvent pas être des invités permanents. 

Le sens de la tragédie

Littoral est joué en alternance par Emmanuel Besnault, Maxence Bod, Théodora Breux, Hayet Darwich, Gilles David de la Comédie-Française, Lucie Digout, Jade Fortineau, Pascal Humbert, Julie Julien, Maxime Le Gac-Olanié, Patrick Le Mauff, Hatice Özer, Lisa Perrio, Charles Segard-Noirclère, Darya Sheizaf, Paul Toucang et Yuriy Zavalnyouk. C’est à dire une équipe plutôt féminine, et l’autre masculine. Nous avons passé la soirée avec un chœur presque totalement féminin, ce qui donne au texte l’allure d’une autre version d’Antigone. 

Littoral est en bout de course une pièce juste sur le deuil, sur le fait symbolique de porter ses morts avant d’accepter de les laisser “pourrir” librement. Nous sommes en 2020, la troupe est jeune et la colère intacte. Le gouffre du deuil est le même, que l’on soit Hamlet, Nour ou Antigone, et à ce jeu des filiations et des héritages, Wajdi Mouawad règne en maître. 

Du 7 au 18 juillet 2020, relâche les 12 et 14 juillet. Mardi 7 et mercredi 8 à 20h30, jeudi 9 et vendredi 10 à 15h et 20h30, samedi 11 et lundi 13 à 20h30 et du mercredi 15 au samedi 18 juillet à 15h et 20h30 durée 2h45 environ. Tarif unique à 15 €, 10 € pour les moins de trente ans. Gratuité pour les lycéens, billets à réserver avec le Pass culture ou auprès de [email protected] sur présentation de la carte de scolarité.

 

Visuel : ©Tuong Vi Nguyen

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