Voix de Gérard Watkins, un chef d’oeuvre d’humanité
Pour sa deuxième pièce sur la question de la santé mentale après Ysteria, Gérard Watkins s’occupe des voix, de celles qui parlent dans nos têtes et qui trop vite donnent lieu au paresseux diagnostic de schizophrénie. Le texte et le spectacle sont formidables d’art dramatique et d’humanité.
Une pièce initiatique
Le décor est magnifique. Un espace perdu devant un rideau métallique fermé, une réclusion familière. Nous allons lentement cheminer. Watkins prend son temps et le nôtre. Il nous invite à la rencontre d’une terreur : celle des voix entendues par certains et qu’il s’agit d’entendre, d’apaiser et d’en découvrir la richesse. Tout démarre par un groupe de parole. Tout commence par la voix de Gérard Watkins qui du fond de la salle, dans le dos du public, lance :” On va commencer ! “. L’auteur se fait guide et chef d’orchestre ; il sait que bientôt nos croiserons la terreur, mais aussi l’illumination. Chaque personnage témoigne de ses voix, une voix tel un compagnon mental appelé à comparaitre. Par un geste magnifique et étrange d’humanité, ni l’inconsistance d’un diagnostic psychiatrique ni le recours réflexe aux médicaments ne sont autorisés à faire taire ces paroles. Le symptôme devient richesse, la déraison devient contingence. Vous entendez des voix? Ça arrive!, assène Watkins.
C’est un parcours initiatique que nous propose la pièce et chemin faisant, nous comprenons que ces entendeurs possèdent un trésor et qu’ils savent écouter d’autant mieux le monde qui les entoure. Nous découvrons que lorsque la voix se retire, elle laisse la personne seule, abandonnée, orpheline de son imaginaire, preuve ultime de la valeur humaniste de la voix.
Mahomet, Jésus ou Jeanne D’Arc
Les voix, selon Gérard Watkins, sont celles d’un être imaginaire doté d’un inconscient qu’il est indispensable d’entendre par une écoute flottante à la façon d’un psychanalyste. C’est osé cependant que la pièce dépasse la simple audace ; elle nous offre une nouvelle manière de comprendre. En valorisant ces voix, à l’instar de celles qu’auraient entendues Mahomet, Jésus ou Jeanne d’arc, Gérard Watkins, fraternel, valorise l’entendeur, donc l’individu.
L’expérience spectateur réside dans l’esthétique accomplie de la pièce et, parce que Gérard Watkins est un musicien, dans une bande-son (dont le piano de Camille Prenant) qui frise l’excellence. Les comédiens incarnent avec une authenticité rare leur personnage. Ils sont attachants. Lucie Epicureo, Malo Martin et Marie Razafindrakoto bouleversent tandis que Valérie Dréville par une intériorité que l’on imagine héritière de ses propres errements et fragilités, défend un deuxième acte hypnotique et dense. Lucie Epicureo fascine au troisième acte lorsqu’elle incarne l’imago d’une petite fille effrayante autant qu’attendrissante. Ce troisième acte est merveilleux.
L’événement est rare et précieux : Gérard Watkins, l’auteur et metteur en scène de Scènes de violences conjugales signe avec VOIX un nouveau chef-d’œuvre.
Voix
Texte et mise en scène : Gérard Watkins
Avec Valérie Dréville, Lucie Epicureo, Malo Martin, Marie Razafindrakoto, Gérard Watkins
Piano : Camille Prenant
Crédit photos Alexandre Pupkin
création au théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, les 26 et 27 avril 2023 (coproducteur)