Théâtre
Un merveilleux Tartuffe réformé par Macha Makeïeff à la Criée de Marseille

Un merveilleux Tartuffe réformé par Macha Makeïeff à la Criée de Marseille

21 November 2021 | PAR David Rofé-Sarfati

A La Criée de Marseille, Macha Makeïeff en son théâtre et avant une tournée nationale, présente Le Tartuffe de Molière transposé dans les années 1960. La pièce y gagne son âme originaire dans un spectacle haut en couleurs et en esprit.

Tartuffe est devenu depuis Molière un substantif, deux substantifs même avec le mot tartufferie. La pièce qui se voulait un manifeste contre les faux dévots n’en finit pas d’être montée. Elle est une garantie de succès. Car le chef-d’œuvre sait renvoyer à des préoccupations contemporaines ; c’est sa force et sa vertu. En 1995 la mise en scène d’Ariane Mnouchkine place l’intrigue dans les milieux musulmans intégristes. Hormis cette proposition, le passé des mises en scène de la pièce Le Tartuffe ou l’Imposteur est une affaire d’hommes de théâtre laïcisants, par conviction ou convention, et se moquant avec gourmandise et facilité des anciens ecclésiastiques et de leur hypocrisie. Aujourd’hui, c’est Macha Makeïeff qui, en son Théâtre de la Criée, à Marseille, s’attaque à l’œuvre. Et ca change tout. 

Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme

Le premier Tartuffe est créé à Versailles par la troupe de Molière, le 12 mai 1664. Cette unique représentation est chaleureusement accueillie. Pourtant, dans les heures qui suivent, Louis XIV fait défense à Molière de représenter sa comédie en public. L’annonce de l’interdiction de la pièce suscite aussitôt la plus importante controverse de l’histoire du théâtre français. Elle durera cinq ans. Le 5 février 1669, la pièce, enfin autorisée, peut reparaître en public sur la scène du Palais-Royal et sous le titre Le Tartuffe ou l’Imposteur. La salle est archicomble, le succès est immédiat.

Tartuffe bousculait, dérangeait, émancipait. La pièce accusait. Au fil du temps et de ses succès, la pièce se résumait à une joyeuse pantalonnade anticléricale. La critique sociétale s’émoussait. Macha Makeïeff reprend le geste de Molière pour le finir. La metteuse en scène se saisit de l’âme du texte cette fois pour une mise à nu du patriarcat et de ce qui le constitue lorsqu’il sait emprisonner les femmes, en même temps qu’il les patronne. Les personnages féminins émergent alors dans une nouvelle dimension. L’historique théâtre de Molière, par le geste légitime de Makeïeff, investit le féminisme dans une modernité qui renoue avec les enjeux de sa création. En effet, il n’était plus possible au XXIe siècle de rire d’une Mariane sottement amoureuse du goujat Valère. Et il est un nouveau bonheur de rire de cette mère d’Orgon, Madame Pernelle, qui sur la grande scène de la Criée, chante pour donner de la voix à son combat pour la sauvegarde de la misogynie et de sa tradition. Le personnage de Tartuffe, quant à lui, devient chef de bande, patron de secte, directeur d’un clergé qui fait système. C’est la première réussite de la proposition de Macha Makeïeff. Elle nous extrait de l’anecdotique d’une intrigue amoureuse cent fois montée pour présentifier nos idéologies.

Les langues ont toujours du venin à répandre

La seconde réussite consiste en la forme. La magnifique langue de Molière est préservée. Le texte garde toute sa force et sa beauté. Les fétichistes du classicisme ou les suppôts malgré eux de la misogynie refuseront la liberté que la metteuse en scène, certainement parce qu’elle est une femme, s’autorise. Cependant, Le Tartuffe ou l’Imposteur de Molière est bien là. Les jeunes d’esprit applaudiront à cette réappropriation dans le présent de l’âme du dramaturge. Ils profiteront aussi de l’esthétisme dont nous a habitués la directrice de La Criée. Le décor est somptueux. Macha Makeïeff n’a pas renoncé à ses empilements, mais cette fois, de façon plus sage, elle a imaginé un fond de scène surélevé sous la forme d’un chemin de traverse. Le hors-champ navigue ainsi au sein de ce décor magique. Le mobilier finit de construire le plaisir visuel. La troupe enchante : en particulier Jeanne-Marie Levy en une réjouissante Madame Pernelle, Vincent Winterhalter en un Orgon sincère donc édifiant. Bravo aussi à Irina Solano qui défend une Dorine revisitée (elle n’est plus servante, mais une amie de la famille). La comédienne invente avec brio une Dorine au parler libre, une femme moderne en alexandrins. On se précipitera aussi voir ce Tartuffe pour la performance de Xavier Gallais, merveilleusement diabolique. Le comédien investit son corps et sa voix pour figurer l’ordre moral et sa perversion. 

Le risque pris était immense, l’audace vertigineuse cependant que nécessaire. Nous avons découvert un Tartuffe splendide, patrimonial et pour l’avenir, un Tartuffe contemporain fort d’une nouvelle vérité.

TARTUFFE

Mise en scène, décor, costumes Macha Makeïeff
Avec Xavier Gallais, Arthur Igual en alternance avec Vincent Winterhalter, Jeanne-Marie Lévy, Hélène Bressiant, Jin Xuan Mao, Loïc Mobihan, Nacima Bekhtaoui, Jean-Baptiste Le Vaillant, Irina Solano, Luis Fernando Pérez en alternance avec Rubén Yessayan, Pascal Ternisien, et la voix de Pascal Rénéric

Durée : 2h35

La Criée – Théâtre national de Marseille
du 3 au 26 novembre 2021

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 1er au 19 décembre

Théâtre national de Nice
du 12 au 15 janvier

Le Quai, Centre dramatique national d’Angers
du 22 au 26 février

Théâtre National Populaire de Villeurbanne
du 3 au 19 mars

Théâtre Liberté / Liberté-Châteauvallon, Scène nationale de Toulon
du 24 au 26 mars

Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 30 mars au 8 avril

Scène nationale de Bayonne
du 13 au 15 avril

MAC Créteil
les 20 et 21 avril

Maison de la Culture d’Amiens
les 27 et 28 avril

Comédie de Caen
du 11 au 13 mai

Visuel :©Pascal Gely

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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