Théâtre
Sylvain Maurice : “je cherche très consciemment une multitude de manières différentes, voire opposées, de relier le théâtre et la musique”

Sylvain Maurice : “je cherche très consciemment une multitude de manières différentes, voire opposées, de relier le théâtre et la musique”

18 October 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Du 9 au 12 novembre,  se donne La Vallée de l’étonnement au Théâtre de Sartrouville Yvelines CDN sur une composition originale d’Alexandros Markeas, dirigée par Laurent Cuniot. Rencontre avec Sylvain Maurice qui met en scène la pièce et en écrit le livret.

Quel est le lien entre Valley of Astonishment, la pièce de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne et cette nouvelle création ? Est-ce la même histoire ?

Le point de départ est identique, mais le point d’arrivée est différent. Le matériau initial, chez Brook donc, c’est de faire – à travers le portrait du personnage de Sammy Koskas – une fable humaniste qui célèbre les pouvoirs du cerveau. J’ai pour ma part enrichi l’histoire initiale avec mes propres préoccupations : je crois en particulier que la mémoire de Sammy n’est pas seulement une mémoire prodigieuse, capable des performances les plus extraordinaires, mais qu’elle est aussi un matériau sensible, d’une grande richesse psychique. Prolongeant les intuitions de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, je propose l’hypothèse suivante : la dimension performative de la mémoire de Sammy cache un souvenir enfoui au plus lointain de son enfance. Ce souvenir, qui avait été oublié, submerge le personnage quand son passé resurgit du plus lointain. C’est mon apport à la fable initiale.

Cette pièce merveilleuse était déjà une adaptation de La Conférence des Oiseaux de Farid Al-Din Attar, utilisez-vous également ce poème ?

Oui. Sammy est à l’image du phénix du poème soufi de Farid Al-Din Attar : il renaît de ses cendres, alors que c’est un grand brûlé. Son destin s’apparente à un chemin initiatique, peut-être même à un « roman d’apprentissage ». Il traverse sept vallées, comme autant d’épreuves de sa vie réelle : la découverte de son don (une mémoire prodigieuse), le renvoi de son emploi, sa rencontre avec la science, le show pour lequel il est engagé par un imprésario flamboyant. A la fin, Sammy trouve en lui des ressources nouvelles, comme une forme de résilience. Le phénix, c’est ça : malgré les épreuves – ou grâce à elles – Sammy se construit une identité psychique plus solide.

La musique a souvent une belle place dans vos spectacles, on pense au jazz de Short stories par exemple. Mais là nous avons un livret, cela sonne classique ! Pouvez-vous nous en dire plus sur cette autre façon d’écrire ?

Il y a en effet très souvent de la musique dans mes spectacles. Au printemps prochain, je vais travailler avec Norah Krief, Dayan Korolic et le flûtiste indien Rishab Prasanna pour La Fête des Roses (d’après Penthésilée de Kleist) : pour ce spectacle le vocabulaire musical sera « électro-world » : la musique s’écrira tout au long des répétitions, essentiellement au plateau. Pour La Vallée de l’Etonnement, on est à l’opposé : Alexandros s’est emparé du « livret » que je lui ai proposé, pour écrire une œuvre complètement originale : sa composition est un texte à part entière, avec sa dramaturgie propre, où le temps musical n’est plus corrélé au temps théâtral. En fait, je cherche très consciemment une multitude de manières différentes, voire opposées, de relier le théâtre et la musique – et provoquer cette diversité des formes est synonyme d’une inventivité renouvelée.

Et donc, si je comprends, ce n’est pas du théâtre. D’ailleurs la distribution ne nomme “que” des chanteurs et des musiciens : parlez-moi d’eux. Quelle différence cela fait pour vous de diriger des voix ?

J’ai veillé à ce que le parlé et le chanté soient présents dans cette œuvre. Donc on n’est pas entièrement dans les codes de l’opéra : il y a des moments parlés sans musique, qui s’enchaînent avec des « récitatifs » et des « arias » (si on prend le vocabulaire de l’opéra classique). Et pour répondre à la seconde question, il n’y aucune différence à diriger les acteurs et les chanteurs, même si le temps musical impose ses propres règles. Le travail au plateau est le même. Je veux d’ailleurs leur rendre hommage, car ils sont aussi exigeants dans le domaine du chant que du jeu dramatique. Ce sont des phénomènes, un peu comme Sammy !!! Je suis d’ailleurs particulièrement heureux de travailler avec Agathe Peyrat qui porte le rôle titre avec beaucoup de maestria.

C’est la seconde fois que vous travaillez avec Alexandros Markeas, la première c’était en 2017 pour Désarmés (Cantique), que je n’ai malheureusement pas vu. Y a t-il une permanence entre ces deux œuvres ? 

Oui. Alexandros est un compositeur et un être merveilleux. Il fonde son écriture sur une multiplicité d’influences avec une grande liberté stylistique, tout en ayant un « son » original : au bout de deux ou trois mesures, vous reconnaissez du Markeas ! Dans La Vallée, il fait entendre ses origines grecques – avec notamment l’utilisation de musiques traditionnelles : Sammy est traversé par la musique de son enfance, et cette redécouverte de sa « grécité » est bouleversante. Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, Alexandros aime profondément le théâtre, pour lequel il travaille régulièrement (notamment avec Jean-François Peyret) : c’est pour cela que notre collaboration est si fructueuse.

Enfin, vous avez traversé les restrictions gouvernementales en continuant à jouer pour les pros. Que retenez-vous de cette période, qu’en gardez-vous pour aujourd’hui et demain ?

Je retiens que le théâtre est constitutif dans nos sociétés de notre « vivre ensemble ». Cette rentrée post-Covid le prouve : il n’y a jamais eu autant de propositions, pour beaucoup très réussies. J’ai indiqué que Sammy est résilient. Et bien considérons que le théâtre possède cette qualité. Il peut être confiné, mais c’est un phénix qui ne cessera jamais de nous surprendre et nous enchanter.

Les 9, 10 et 12 novembre au Théâtre de Sartrouville Yvelines CDN, à 20H30. Navettes organisées au départ de la Place de l’Etoile. Réservations.

Visuel : ©Christophe Raynaud de Lage

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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