
Myriam Boyer tellement humaine dans « Chère Elena »
Au Poche Montparnasse, on redécouvre la pièce choc de Ludmilla Razoumovskaïa interdite en URSS par les autorités soviétiques à sa création au début des années 1980. Chère Elena décrit avec une violence glaçante le basculement d’une société dans la barbarie.
La fable cruelle et dérangeante raconte l’intrusion de quatre adolescents chez leur professeur au cours d’une nuit qui tourne au cauchemar. On leur donnerait le bon Dieu sans confession quand ces jeunes gens se présentent chez leur hôte en petit uniforme ajusté et les bras chargés de cadeaux en prétextant une visite amicale à l’occasion de son anniversaire. Apparemment instruits et bien sous tous rapports, ils mettent en place, en réalité, un plan diabolique de manipulation et de démolition pour récupérer la clé du coffre qui contient leurs copies ratées d’examen. Chantage odieux, prise d’otage, saccage, viol… leurs agissements monstrueux donnent lieu à des scènes d’une brutalité terrible.
Elena vit chichement et esseulée. Elle n’est pas gâtée par la vie mais pourtant, elle y croit, comme elle croit en l’Homme, animée des plus belles valeurs humanistes qu’elle enseigne à une jeunesse dorée, éprise de liberté et de transgression, qui piétine ses idéaux et jouit d’éprouver un illusoire sentiment de puissance absolue au mépris de toute morale.
Myriam Boyer, magnifiquement victimaire et toujours digne, joue la naïveté douce d’un personnage à la bonté généreuse et touchante. Toute en retenue grave et désabusée, elle entre en résistance avec une sincérité qui trouble et émeut. Face à elle, Gauthier Battoue et Julien Crampon déploient une belle énergie mais demeurent un peu verts. Ce sont leurs premiers pas sur une scène de théâtre. Acteur déjà plus accompli, l’excellent François Deblock, découvert dans les mises en scène de Jean Bellorini, développe un jeu plus nuancé et d’une redoutable perversité. Jeanne Ruff est également très juste dans un rôle difficile.
On découvrait il y a une dizaine d’années Chère Elena de Ludmilla Razoumoskaïa dans une mise en scène de Didier Bezace sèchement frontale et débarrassée de tout effet théâtral. A notre connaissance, elle n’a pas été remontée depuis. Le travail de Didier Long est moins radical mais ne manque cependant pas d’intensité. La pièce s’installe timidement dans une première partie qui manque de menace, de dangerosité. Puis, le spectacle opère un tournant très net qui saisit d’effroi et il fait alors l’effet coup de poing escompté.
A partir du 2 septembre 2014. du mardi au samedi à 21h. Le dimanche à 15h.