
Les Comédies Tragiques de Catherine Anne en phase avec le réel
Comment réagir face aux déboires et aux dysfonctionnements que nous inflige en permanence notre société qui part en vrille. Mieux vaut en rire qu’en pleurer, c’est en tout cas le parti pris de Catherine Anne. L’ancienne directrice du Théâtre de l’est parisien met joyeusement en scène sa nouvelle pièce « Comédies tragiques » qu’elle présente avec sa compagnie Brûle-pourpoint au Théâtre des Halles dans le off du Festival d’Avignon.
La pièce débute sur un malentendu. Des manifestants investissent le plateau d’un théâtre dans lequel doit se jouer Le Cid de Corneille. Ils assurent ne pas faire partie du spectacle et s’étonnent d’être regardés. Ils défilent leur banderole sur laquelle est écrit en gros caractères « Pour une société humaine ». Ce slogan est une bonne entrée en matière dans le spectacle puisqu’au fil des nombreuses saynètes proposées, on entre et capte sur le vif l’intimité d’anonymes, des gens de la vie de tous les jours, des ratés sympathiques et combatifs, inadaptés à la rudesse du système, en quête d’une place dans un monde trop rapide, agressif et excluant dominé par les maîtres mots bien illusoires de restructuration, optimisation, rentabilité, performance. Il y a quelque chose de kafkaïen dans ce spectacle.
Ils sont nos semblables, dans la file d’attente à l’anpe ou à la poste, lors d’un entretien d’embauche, à l’école, sur un plateau de télévision… Les thèmes qu’ils abordent sont la crise, les difficultés économiques, les licenciements, le chômage, le tout avec bon sens et bonne humeur.
Quatre comédiens géniaux et un peu fous enchantent par leur jeu extrêmement tonique et varié. Thierry Belnet, Fabienne Lucchetti, Damien Robert, Stéphanie Rongeot jouent à eux seuls une foule de personnages (une trentaine) très différents les uns des autres qu’ils abordent et incarnent avec un bonheur gourmand de théâtre, en endossant une multitude de costumes, de perruques et postiches. Les transformations sont ludiques et savoureuses.
La pièce porte bien son titre tant elle oscille entre le rire et l’effroi. C’est léger et profond, pourrait devenir anxiogène, glaçante même si la tonalité satirique n’emportait pas l’avantage grâce à un sens de l’observation et de la réplique qui fait mouche, de bonnes trouvailles quant aux jeux de scène auxquels s’ajoutent quelques surprises bienvenues comme une drôle de chorégraphie sur La Mélodie du bonheur par les acteurs plantés sur les colonnes de Buren.
On reprochera quelques longueurs et le discours un peu simpliste ou trop gentillet de quelques scènes, pas nombreuses. Mais voilà, la pièce propose une quantité de regards amusés mais souvent désillusionnés sur le monde dans lequel on vit. Elle se veut l’écho d’un certain désarroi des êtres, en fait le constat et revendique, entre en résistance avec l’humour pour arme. Et elle propose pour finir une possibilité non négligeable d’échapper à ce chaos : la poésie, signe d’apaisement plus que de résolution des tracas mais c’est déjà ça !