
“Le Suicidé”, un texte d’actualité ?
Jean Bellorini adapte Le Suicidé, un “vaudeville soviétique” écrit en 1928 par Nicolaï Erdman.
Une satire de la Russie stalinienne
Sémione Sémionovitch est au chômage et vit depuis quelques temps aux crochets de sa femme, Macha. Une situation à première vue peu valorisante, qui provoque l’inquiétude de Macha : elle craint qu’il ne mette fin à ses jours. L’information se répand comme une traînée de poudre, et chacun.e souhaite récupérer le suicide à venir de Sémione pour en faire le martyr de son camp : il se serait suicidé pour défendre l’intelligentsia russe, les commerçant.es, les artistes… Semione réussit l’exploit d’attirer, de son vivant, une multitude de vautours sur un cadavre qui n’existe pas encore.
Cet argument est l’occasion pour Nicolaï Erdman de proposer une satire de la société russe des années 1920. Des groupes professionels divers sont ainsi tournés en dérision. Surtout, la peur et la lâcheté qui saisissent tout le monde, l’emprise et l’absurdité du système stalinien sont sans cesse tournées en ridicule, au point que cette pièce fut longtemps interdite en Russie.
Une théâtralité exhibée
La mise en scène de Jean Bellorini repose deux choix principaux : mettre en évidence la théâtralité du texte et inscrire celui-ci dans un contexte historique précis. En effet, le texte de Nicolaï Erdman exhibe fortement sa théâtralité. Le jeu des acteurs et actrices, de son côté, repose régulièrement sur une outrance assumée et sur une direction issue du vaudeville. Ce choix fonctionne et participe très largement du rire du public. Outre cette fonction ludique, il thématise les faux-semblants d’une société où tout le monde est contraint de jouer un rôle.
Un ancrage historique
L’ancrage dans le contexte de la Russie stalinienne se fait principalement au moyen des accessoires et des costumes de Macha Makeïeff. A ces signes s’ajoutent des projections en noir et blanc sur tulle, qui nous invitent par ce choix chromatique à regarder quelques décennies en arrière. Si le rapport plateau/tulle fonctionne, peut-être peut-on regretter que cet ancrage frise parfois le stéréotype.
Un peu de politique contemporaine
Il arrive toutefois que le noir et blanc laisse place à la couleur : dans sa version de février 2023, Jean Bellorini tisse un lien entre le faux suicide de Semione et le vrai suicide, en 2022, du rappeur russe Ivan Petunin, qui voyait dans sa propre mort la seule échappatoire à l’enrôlement dans l’armée. Enfin, une banderole hostile à la réforme des retraites est, lors des saluts, hissée au-dessus des actrices et acteurs. Curieusement, cette incursion de la politique contemporaine ne paraît pas plaquée et s’inscrit dans la globalité du spectacle. La pièce souffre toutefois de quelques longueurs qui nuisent par moments à sa dimension comique.
Générique
Mise en scène Jean Bellorini
D’après Le Suicidé de Nicolaï Erdman publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, traduit par André Markowicz.
Avec François Deblock, Mathieu Delmonté, Clément Durand, Anke Engelsmann, Gérôme Ferchaud, Julien Gaspar-Oliveri Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Liza Alegria Ndikita, Marc Plas, Antoine Raffalli, Matthieu Tune, Damien Zanoly
Musiciens Anthony Caillet (cuivres), Marion Chiron (accordéon), Benoît Prisset (percussions)
Collaboration artistique Mélodie-Amy Wallet
Scénographie Véronique Chazal et Jean Bellorini
Lumière Jean Bellorini
Assisté de Mathilde Foltier-Gueydan
Son Sébastien Trouvé
Costumes Macha Makeïeff
Assistée de Laura Garnier
Coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Vidéo Marie Anglade
Décor et costumes Ateliers du TNP
Dates
Visuel : Juliette Parisot