Théâtre
Le Beau Monde, la délicieuse dystopie de Rémi Fortin  au Festival d’Avignon

Le Beau Monde, la délicieuse dystopie de Rémi Fortin au Festival d’Avignon

20 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Comme le veut la tradition, le Festival d’Avignon accueille le lauréat du Prix Impatience 2023, en l’occurrence Le Beau Monde, une création collective d’Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche qui nous entraîne dans le passé, exactement en été 2023 !

Upside down

Dans la belle cour minérale de la collection Lambert, nous voyons d’entrée de jeu que quelque chose ne tourne pas rond. Pourquoi les enceintes sont-elles placées à l’envers, les trépieds vers le haut comme des arbres ? Quand Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche apparaissent, on comprend qu’il n’y pas que ça qui cloche puisque tous leurs vêtements sont également mis à l’envers. Mais pourquoi ?  La réponse est délicieuse : ces trois-là sont des témoins du futur. Ils et elle nous parlent d’un temps lointain. XXIIIe siècle, XXIVe ? On ne sait pas. Iels portent sur le XXIe le même regard que nous sur les dessins des grottes préhistoriques. Iels interprètent, iels ne savent pas, ne savent plus, donc, quel était l’ordre des choses.

“C’est la souffrance qui pèse dans le game”

La pièce est un rituel qui tous les 60 ans se compose de “fragments”, qui sont comme des capsules qui rassemblent tout ce qui constituait la civilisation humaine au début du XXIe siècle. Ce faisant, cette liste théâtrale à la Prévert dresse le portrait de tout ce que nous risquons de perdre, au présent. Alors, on rit beaucoup, par exemple, quand les garçons doivent réactiver la mémoire du “baiser”. La description pas-à-pas qui mène du regard à la bouche est décrite avec une froideur anti-sexy qui est une leçon de comédie. 

Le plaisir de jouer explose dans un comique d’absurde très ancré dans le style Devos. Et comme presque tous les jours dans ce magnifique festival, on chiale aussi en pensant que “le théâtre”, “la danse”, “le temps” pourraient vraiment disparaître. Imaginer aussi ce que nos descendant.es comprendront de nous est troublant. Le spectacle fait de nous des visiteurs du Musée de l’Acropole, en train d’interpréter un geste ou un objet en pensant savoir à quoi il servait.

“À la fin du rituel, ils tapent des mains pour chasser les fantômes qu’ils ont convoqués”

Le texte est merveilleux. Le jeu 100% décalé ne perd jamais son objectif.  Il résonne curieusement avec la pièce de Tiago Rodrigues, By Heart, qui clôturera le festival le 25 juillet. Comme lui, le collectif apprend par cœur pour que les mots ne meurent pas, sinon, les gens qu’on aime meurent pour de bon, disparaissent complètement.

D’ailleurs, la pièce rappelle que la mémoire est fragmentaire (décidément, Barthes est partout) ! “Oui, en fait ce rituel était composé à l’origine de 427 fragments, bon depuis, la mémoire s’est perdue, et aujourd’hui, nous en connaissons 46.”. Cette idée de la trace pour celles et ceux qui restent est très connectée à notre monde. D’ailleurs, pour la création, Rémi Fortin a interviewé des filles et des garçons de sa génération en leur demandant de quoi iels aimeraient qu’on se souvienne plus tard.

En attendant, comme le danse Anne Teresa De Keersmaeker en ce moment, le théâtre n’est pas près de disparaître avec une proposition comme Le Beau Monde. C’est comme si cette pièce était la bande son de l’installation Outremonde, présentée l’année dernière dans le même lieu et qui montrait notre monde englouti.

Ce Beau Monde est un bien beau spectacle, frais et terriblement généreux.

Jusqu’au 21 juillet puis du 12 au 23 septembre au Cent quatre. 

Visuel : Christophe Raynaud de Lage

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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