
L’Art du divertissement de Jan Lauwers – La rose des vents, Villeneuve d’Ascq
Créé pour fêter les 25 ans de la Needcompany, L’Art du divertissement, écrit par Jan Lauwers, installe la télé réalité comme personnage central, comme raison pour laquelle tous les comédiens sont réunis sur le plateau. Une télé réalité poussée à son extrême : orchestrée par une présentatrice truculente, interprétée par la formidable Viviane de Muynck, cette émission invite des célébrités pour leur offrir une dernière heure de gloire avant leur suicide en direct. L’invité de la soirée : Dirk Roofthooft, qui interprète son propre rôle, comédien à la mémoire qui flanche et qui incarne un théâtre moribond face aux niaiseries florissantes de la télévision.
Si le ressort principal de cette pièce est l’opposition radicale entre “l’art du divertissement”, cette télévision poubelle présentée dans toute sa vulgarité voyeuriste, et l’art dramatique, empreint d’une noblesse dépassée, Jan Lauwers distille bien d’autres niveaux de réflexion qui permettent au propos d’aller au-delà d’une dichotomie quelque peu éculée. La galerie de personnages excentriques qui entoure Dirk Roofthooft, Viviane de Muynck et Grace Ellen Barkley (qui joue la femme de Roofthooft) évoque un âge d’or de la culture pop dans le sens le plus noble du terme, qui serait l’ancêtre d’une télévision dégénérée par 40 ans de consumérisme effréné. Entre James Brown et Yoko Ono, Marilyn Monroe et Janis Joplin, un imaginaire nostalgique se met en place derrière la débauche de couleurs, de mouvements et de bruits qui signifient le brouhaha incessant de la télévision – aux dépens parfois de la structure de la pièce, dont le joyeux bordel est parfois un peu trop poussé.
L’autre faiblesse de la pièce, c’est la quantité un peu trop impressionnante de niveaux de lecture et de références artistiques et populaires qui ne cessent de s’empiler les unes sur les autres, donnant ainsi, certes, une certaine profondeur au propos, mais parfois au détriment de la cohérence de la structure narrative, qui tend à partir dans tous les sens. Il reste cependant qu’une constante dans la pièce lui permet de garder le cap : la détresse de ce comédien qui sent bien qu’il n’est plus le grand artiste qu’il fut autrefois, et la question de savoir si oui ou non il accomplira le geste final que chacun attend de lui. Rythmée par le Stabat Mater de Pergolèse, la descente aux enfers de Roofthooft est la justification des pirouettes jouées par les histrions qui l’entourent. Et tous sont très bons dans leurs rôles, la danseuse destinée à être mangée, le cuistot homophobe, le médecin dépassé par les événements, la potiche blonde qui filme incessamment les moindres détails du spectacle, poussant le vice jusqu’à l’obscénité.
Drôle et enlevée, cette pièce frappe surtout par son cynisme. Point de chansons dans cette production de Lauwers, qui pose la question de l’avenir du théâtre face à la télévision, risquant un éloge funèbre de l’art dramatique symbolisé par l’excellent Roofthooft. On y croirait presque…
Photos : © Maarten Vanden Abeele