Théâtre
Land’s End du Collectif Berlin à La rose des vents (Villeneuve d’Ascq)

Land’s End du Collectif Berlin à La rose des vents (Villeneuve d’Ascq)

06 May 2013 | PAR Audrey Chaix

 

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Première surprise en entrant dans la salle : les gradins de La rose des vents ont été poussés au fond de la salle, le plateau, immense, est envahi d’étranges machines un peu macabres. Là, la moitié d’une voiture immatriculée en Belgique, d’où dépassent incongrûment deux jambes. Non loin, une cuisine, avec toutes les épices et les ustensiles nécessaires. Un canapé, d’où, une fois encore, dépasse une paire de jambes. Un frigo dont il ne vaut mieux ne pas trop s’approcher tellement il sent mauvais. Et une étrange machine dont la seule fonction semble de pulvériser de gros oignons. On en a les larmes aux yeux en finissant par aller s’asseoir dans les chaises en plastique du petit gradin réservé au public.

La pièce se déroule en trois temps. Tout d’abord, par écrans interposés, une conversation entre un homme et une femme, tantôt en français, tantôt en néerlandais. On ne comprend pas bien les liens qui les unissent, mais ils se reprochent quelque chose, cherchent à se protéger, au prix de la tête de l’autre. Ensuite, la situation un peu étrange d’une ferme nous est décrite très didactiquement : placée sur la frontière franco-belge, cette ferme était haut lieu de la contrebande avant que l’espace Schengen n’est remisé les postes de douane aux oubliettes de l’histoire.

Tout finit par faire sens dans la troisième scène, la plus longue, la plus complexe scénographiquement, et celle qui explique les étranges machineries plongées dans la pénombre depuis le début de la pièce. Tout cela n’est, finalement, qu’un fait divers : une femme belge, rongée par la jalousie face à un mari qui la trompe, a engagé un tueur à gages, français lui, pour le tuer. Sauf qu’une fois le crime commis, le meurtrier a été arrêté côté français. Et que la femme, qui a commandité le crime, se trouve du côté belge. Arrive alors une scène de confrontation complètement ubuesque, engendrée par la différence entre les lois et les systèmes judiciaires entre les deux pays : il faut que l’homme reste du côté français – la France refuse d’extrader un de ses ressortissants pour une confrontation dans un autre pays. Quant à la femme, elle doit rester en Belgique. La ferme transfrontalière est le parfait décor pour cette confrontation, à laquelle assistent six hommes de loi – avocats, procureurs, juge…

Au-delà du fait divers, le collectif Berlin, formé par Bart Baele et Yves Degryse, poursuit ici sa recherche commencée avec Tagfish, dans le cadre d’un cycle intitulé Horror Vacui. Avec Tagfish, il s’agissait de réunir autour d’une table des individus qui ne s’étaient jamais rencontrés, dans le cadre d’un projet immobilier pharaonique. Ici, c’est l’exploration de l’âme humaine dans sa forme la plus sombre qui est disséquée par les hommes virtuellement présents, par le truchement d’écrans (dommage qu’un souci technique n’ait pas permis d’entendre la voix d’un des six hommes). Les seuls à être physiquement présents sur scène sont les accusés, de part et d’autre d’une longue table sur laquelle est tracée, au sable, la frontière, ainsi que deux policiers, le Français et la Belge.

La justice est ainsi représentée dans la froideur d’écrans interposés, tandis que le côté humain, vil et incarné du crime est présent sur scène par la voix et le corps d’acteurs. La barrière de la langue n’en est finalement pas une : des surtitres traduisent le néerlandais, et le passage d’une langue à l’autre ne semble pas gêner les comédiens. Le Collectif Berlin réussit ainsi une belle prouesse : réunir la scène française et la scène néerlandophone sur un même plateau, tout en illustrant, dans une scénographie très étudiée, la nature même de l’espace transfrontalier, absurdement imperméable pour ce qui est de l’administratif, et si facilement franchissable pour les êtres humains. Espérons que Bart Baele et Yves Degryse poursuivent ces expérimentations.

Photos : Collectif Berlin

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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