
La playlist personnellement joyeuse d’Emilie Rousset au Festival d’Automne
Commençons par une devinette si vous le voulez bien : quel est le point commun entre un bouquet de roses magique, un nazi et un pédocriminel ? Tic, tac, tic, tac… Vous l’avez ? Évidemment ! C’est l’hymne européen ! Comment ça vous ne voyez pas le lien ?
Nous voici au Théâtre de la Bastille pour Playlist Politique, la toute nouvelle création de la reine du théâtre documentaire fictionné, nous avons nommé Émilie Rousset. Avec sa comparse Louise Hémon, elles ont souvent œuvré, avec une intelligence et un talent monstres, pour nous faire découvrir des tonnes de choses sur des thèmes par forcément très connus. Le Procès de Bobigny, Les océanographes Anita Conti, Dominique Pelletier et Julien Simon, les débats d’entre-deux-tours et très récemment, la mort.
Le travail d’Émilie Rousset et de Louise Hémon part de l’archive pour en faire autre chose. Leurs pièces prennent leurs sources dans des matériaux très réels : des archives, des actualités, pour ensuite être malaxées de différentes manières. Cette fois-ci, pour Playlist politique, Émilie Rousset est seule aux manettes.
La pièce est une commande de la Pop. Nous sommes en 2020 et dans le cadre des (re)lectures, Olivier Michel propose à Émilie Rousset de travailler “autour des hymnes nationaux”. Son choix se porte sur l’Ode à la joie, extrait de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Nous sommes en plein confinement, les lieux culturels sont fermés sans aucune raison valable, la création se passe autant à la maison qu’en salle. Pour cette Playlist Politique, la metteuse en scène invite même son fils Jean à participer à la construction de la mémoire collective autour de cette musique.
Sur scène, au Théâtre de la Bastille, Anne Steffens et Manuel Vallade sont munis d’oreillettes. Ils se campent devant un grand écran où circulent des serpentins lumineux avant qu’il ne se transforme en ordinateur. Le procédé est le même que pour Le Procès de Bobigny, le reenactment. Le comédien et la comédienne entendent la vraie voix des protagonistes et nous délivrent, tels des enquêteurs de police, l’histoire de la mémoire politique de cette musique. Leur jeu est délicieusement biaisé par cette omniprésence d’un son que elle et lui seul.e. entendent. Il et elle sont un peu étranges, un peu décalé.e.s. Et c’est très drôle !
On ressort de là scotchés par notre méconnaissance. L’Ode à la joie est un hymne sans paroles qui est censé représenter “silencieusement” l’Europe, elle a été recomposée par Karajan, au passé nazi, et a été tout au long de son histoire, jusqu’à récemment (Emmanuel Macron a traversé la cour Napoléon au rythme de deux diffusions successives de l’Ode) utilisé à des fin de propagande “positive”.
Il est passionnant de voir les trucs et astuces, les pactes et mésalliances qui ont animé chaque utilisation de cet hymne finalement peu recommandable.
Nous n’allons pas vous en dire plus, mais sachez que vous allez en apprendre beaucoup sur un sujet qui sur le papier n’avait rien d’une palpitante épopée ! Et pourtant !
Jusqu’au 7 décembre au Théâtre de la Bastille
Visuel : © Ph. Lebruman