
La Comédie Française revisite La Double Inconstance de Marivaux
Du 29 Novembre au 1er Mars 2015, la Comédie Française nous donne l’occasion d’assister à la représentation de La Double Inconstance de Marivaux. La pièce qui avait été oubliée près d’un siècle et demi avant d’être ajoutée au répertoire de la Comédie Française en 1934, ne semble pas avoir pris une ride.
L’Histoire que conte Marivaux dans La Double Inconstance se veut triste, sans être sombre. Triste car emprunte d’un grand sentiment de désillusion quant à l’incorruptibilité des sentiments. Sylvia ( Adeline d’Hermy) et Arlequin ( Stéphane Varupenne) se vouent un amour pur, jusqu’à ce que le Prince (Loïc Corbery) ne succombe à la belle, et l’enlève en vue de l’épouser. Afin de l’écarter de son amant, le Prince complote un stratagème grâce à Flavinia (Florence Viala), à qui il confie la séduction d’Arlequin. Malgré la force de l’amour des deux villageois, le couple se défait progressivement, il a été corrompu, laissant transparaître la double inconstance des personnages, qui reflète finalement celle du monde et de nos sentiments. Tableau désenchanté donc, mais que Anne Kessler, metteur en scène du spectacle actuellement à l’affiche, a su vivifier par une mise en scène originale, et aux effets comiques qui rythment parfaitement la pièce.
Au premier abord, les décors et les costumes nous livrent les attentions du metteur en scène: bien que les allusions au siècle de Marivaux soient évidentes, les premières scènes donnent l’impression de se trouver dans un appartement bourgeois du 16 ème arrondissement. Et cela corrobore parfaitement la présence d’un jeu avec les accessoires: ventilateur (qui servira de guitare), ipod ou gobelet en plastique. Les jeux sonores s’invitent aussi dans les nombreux moments humoristiques, pour suggérer un trafic routier par exemple. Ce qui n’est pas étonnant vu que le mouvement est une constante dans la pièce. Les acteurs vont et viennent incessamment, ne faisant que suggérer le mouvement et le flux perpétuel indiqué dans le titre.
D’ailleurs, la référence au titre se distille partout dans cette adaptation. Anne Kessler s’approprie totalement la dimension “duelle” qui y est indiquée. En effet, la pièce suit un cheminement double. Plutôt que de mettre en scène les acteurs directement dans l’environnement des personnages, chaque scène à été conçue comme une séance de répétition des acteurs, jusqu’à la première représentation. Ce cheminement se fait sous les yeux du spectateur, qui voit devant lui se matérialiser graduellement les personnages. Et c’est là toute l’originalité du spectacle: la simultanéité de l’action de la pièce finit par se confondre dans l’action des répétitions. On nous présente tout à la fois la pièce en train de se faire, que la pièce elle même. L’espace scénique devient plus que jamais un entre deux, à mi chemin entre le “non lieu” et le “double lieu”, tout autant plateau que salle de répétition. Dans cet univers, La performance des acteurs est aussi à saluer, puisque le rôle duel est tenu avec cohésion et justesse.
La pièce, telle qu’elle est montée, réussit le pari de la réactualisation sans dénaturation, et livre une belle réflexion sur l’élaboration d’un spectacle. Anne Kessler parvient à complexifier intelligemment le propos de Marivaux, en montrant la pérennité des conflits de la raison et des sentiments à travers les décennies, et ce avec une légèreté mêlée à un exercice de style qu’on salue volontiers .
Visuels: © Brigitte Enguérand/La comédie Française.