Théâtre
[Interview] Philippe Car : “raconter une histoire à des gens qui ne comprennent pas la même langue, c’est la source du théâtre”

[Interview] Philippe Car : “raconter une histoire à des gens qui ne comprennent pas la même langue, c’est la source du théâtre”

04 February 2014 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Jusqu’au 16 février, l’agence de Voyages Imaginaires, Cie Philippe Car a posé ses caravanes, sa cuisine et son expo au Théâtre 13 Seine, l’occasion de rencontrer à Paris, ce voyageur marseillais qu’est Philippe Car.

El-CidComment l’Agence de Voyages imaginaires se sent à Paris?

Elle s’y sent bien car on est très bien accueillis ! Je suis ami avec Colette Nucci, la directrice du Théâtre 13 depuis plus dix ans, et cela fait plus de dix ans qu’elle me propose d’y jouer. Mais l’ancien Théâtre 13 était trop petit. Une fois le Théâtre 13 Seine construit, superbe salle, elle m’a dit ” tu fais ce que tu veux, quand tu veux”. L’équipe est aux petits soins, ils viennent et reviennent voir les spectacles. Le public est au rendez-vous, il ressort heureux. Ce n’est pas une très grande salle, elle fait 250 places, ce qui est idéal pour le théâtre.

Vous portez le mot voyage dans votre nom et tous vos spectacles sont créés lors de voyages. Est-ce le pays qui inspire le spectacle ou le spectacle qui décide du voyage ?

Cela peut être dans les deux sens mais en général, c’est l’idée qui nous inspire le pays. Par exemple, pour Le Bourgeois Gentilhomme, j’ai eu l’idée de travailler avec des grandes marionnettes car l’histoire de monsieur Jourdain est une histoire de manipulation. De cette idée sont venues les marionnettes, et pour travailler les techniques de marionnettes, le Japon était un pays fabuleux. Nous y avons appris le Bunraku qui est une technique de manipulation de grandes marionnettes ancestrale et merveilleuse. On y a vu du No, du Butô. Je suis fasciné par l’Orient et l’Asie, pour moi, c’est là que se trouve la source du théâtre. Toute l’inspiration du Bourgeois Gentilhomme est venue de là. Après, il y a d’autres raisons au départ. Pour Antigone, c’est une amie, qui est directrice de théâtre, qui a pris un poste à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso qui souhaitait nous accueillir en résidence chez elle pour réaliser une création. Cela faisait longtemps que Valérie Bournet avait envie de monter Antigone. Travailler sur l’idée d’une femme qui se révolte contre un dictateur, en Afrique, c’est extrêmement parlant. Au Burkina, on aurait pu travailler n’importe quel spectacle. Le début du travail, qui a été génial, ça a été d’aller en Brousse rencontrer des villageois qui non seulement n’avaient aucune idée ni de l’existence des auteurs grecs ni du théâtre. On a déployé nos nattes et on a raconté l’histoire devant des gens qui nous prenaient pour des extra-terrestres. Le soir même, un habitant d’un autre village est venu nous voir pour nous demander de venir jouer chez lui, tout cela dans une langue que nous ne connaissions pas. Alors, on a joué, sans texte. Ce sont d’immenses enrichissements : comment raconter une histoire à des gens qui ne comprennent pas la même langue, c’est la source du théâtre et c’est le rêve d’un acteur, être devant un public neuf.

Est-ce que le pays influe sur le spectacle ?

Oui complètement. Mais il n’y a pas que le pays, il y a aussi l’aventure. Pour Le Cid, nous sommes partis longtemps. Normalement les voyages d’étude durent trois à quatre semaines. Pour Le Cid on a pu réaliser une chose que l’on voulait faire depuis longtemps : faire toute la création en voyage. Nous sommes partis trois mois sur les lieux du crime (rires)  en Espagne et au Maroc. On a posé nos tentes comme les indignés sur les places avec nos chapiteaux déployés. Les gens nous regardaient répéter. On a eu beaucoup d’échanges avec le public, mais comme au Burkina, le public ne parlait pas français, on a fait un théâtre d’images. Au Maroc, on a ajouté un narrateur Berbère qui racontait ce qui se passait sur scène. De ville en ville, l’histoire s’est écrite avec ce que l’on avait sous la main. On avait un chapiteau tout ouvert de six mètres de diamètre. La piste ronde est vite devenue trop petite, on tournait autour. On avait une petite caravane.

Et comment passez vous à la langue ? Le texte vient-il avant ou après ?

Il y a toujours un moment où on peut sortir le texte. Je travaille le texte avant de partir en voyage. On prépare une version adaptée au nombre de comédiens et de personnages. Ensuite je traduis le texte, tout ce que je considère difficile à comprendre, je le réécris. J’aménage le texte de façon à ce qu’il s’entende. Le travail d’écriture se fait sur le plateau. Certains mots n’entrent pas dans la bouche des comédiens, c’est ensemble que le spectacle se créé.

Concernant Antigone, vous avez fait de cette tragédie une quasi comédie, le pari est réussi, il n’était pas acquis d’avance. 

Le rire vient tout seul, c’est une manière de raconter les histoires. On est proche du conte et je pense que le conteur dédramatise. Ce sont des légendes et des mythes, nous ne sommes pas là pour plomber le spectateur.

Avez-vous voulu faire d’Antigone un conte pour enfant ?

Pas du tout, pour moi,  le public a 5 ans. On fait un spectacle pour un public familial. Je reviens sur la question du rire. Il a aussi surgi car nous sommes allés créer la pièce en brousse. Il fallait faire comprendre la querelle entre les deux frères sans texte. On a du remonter à la guerre pour expliquer l’histoire. On s’est servi de ce qu’on a trouvé : des bouteilles en plastique ou un carton de pizza pour y découper une couronne. Polynice et Eteocle étaient joués par des marionnettes de chiffons dont l’un avait un enterrement décent et l’autre se retrouvait à la poubelle. L’image était, sans le vouloir, ubuesque. Cela amenait le rire et contribuait à raconter l’histoire.

Vous avez créé Le Cid dans le cadre de Marseille-Provence 2013, que vous a apporté l’année capitale ?

J’ai créé la compagnie, sous un autre nom, en 1979, on est très implantés dans la ville. Cela n’a pas été compliqué d’être repéré. Beaucoup de projets de l’ordre de l’événementiel ont été proposés à Marseille Provence 2013. Nous n’avions pas envie de sortir de notre rythme lent de création mais nous avions envie d’aller plus loin. C’est grâce à MP2013 que l’on a pu partir trois mois pour créer Le Cid. A notre retour, on l’a joué à Marseille et on  a aussi fabriqué une grosse expo au Gymnase, sur la Cannebière. Nous avions aussi notre cuisinier sur place, cela a été formidable.

Votre compagnie est située à L’Estaque, le fait d’être sur la Cannebière, qui est très centrale vous a t-il amené un autre public ?

A l’Estaque, on crée, on répète mais on ne joue pas. On joue dans tous les théâtres de Marseille : à la Criée, au Toursky, aux Bernardines. On a notre public qui nous suit où que nous soyons auquel s’ajoute le public des lieux. A Marseille, on est repérés !

Le Cid, à voir juqu’au 16 février, au Théâtre 13.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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