“Hedda” à l’Odéon Atelier Berthier, édifiante version d’Ibsen
Sébastien Monfè, Mira Goldwicht et Aurore Fattier ont imaginé une jolie façon de nous faire vivre et comprendre le destin de Hedda Gabler. Leur pièce qui restitue avec force la tension de l’intrigue ibsénienne est un ravissement d’intelligence.
On se souvient de ce film de Claude Autant-Lara, captivant par sa construction, où une troupe de théâtre répète Occupe-toi d’Amélie de Feydeau, où les comédiens et les personnages fusionnent de sorte que la fin est un merveilleux embrassement du texte classique et de son actuel. Sorti en 1949, Occupe-toi d’Amélie ne sera pas repris en salles avant janvier 2009. Les héritiers de l’auteur étaient opposés à son exploitation, car le réalisateur avait pris trop de libertés dans l’adaptation de l’œuvre. Pourtant, le film qui signait le retour de Danielle Darrieux au cinéma réussissait à multiplier par deux la satire de la bourgeoisie.
Aurore Fattier s’est saisi de Hedda Gabler de Ibsen de la même façon qu’Autant-Lara avait voulu, en son temps, rendre hommage à Feydeau. Une troupe répète la pièce Hedda Gabler et les motifs se trouvent doublés, augmentés. La mise à distance de l’intrigue et de ses conflits psychiques est réduite jusqu’à son anéantissement. Le texte de Ibsen est projeté parmi nous, aujourd’hui. Et multiplié par deux.
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Les classiques sont des matrices de nos identités
Ainsi Aurore Fattier explique son geste : les classiques sont des matrices de nos identités. Les comédiens épousent le biais. Ils incarnent des personnages proches de vous. Dans les loges, entre les répétitions, ils sont nos contemporains, nos semblables. Nous voici conviés dans un espace secret, inconnu et habituellement interdit. Dans ce lieu, les coulisses, les personnages sont à nu, les psychés à ciel ouvert. Les allers-retours entre les loges et le plateau jouent comme un pingpong entre le texte d’Ibsen classique et nos identités actuelles. Il est conseillé de relire a minima le synopsis de la pièce pour profiter au mieux de ce voyage à double sens. Un périple que nous ferons au sein de nos propres conflits, dans nos propres têtes.
Un dispositif scénique faussement galvaudé
Le recours à la vidéo, motif scénique trop courant, n’a jamais été aussi judicieux. Il permet d’entuiler les époques, non de faire allégeance à une mode de commande. Par ce dispositif et la construction de la narration, Aurore Fattier ne contourne pas ce qui emplit l’esprit de la pièce d’Ibsen entre critique de l’archaïsme patriarcal et jugement d’une modernité trop vite pensée ; la metteuse en scène affronte cet esprit les yeux grand ouvert. La pièce est sombre, pessimiste et édifiante. La chute est hypocrite à l’envi et nous rend à nous même face au vide. Une réponse nous vient : D’où nous nait ce besoin de théâtre?? à lutter contre la mort, à son idée, à son annonce certainement. Et ce temps suspendu d’une répétition y parvient. Temporairement.
L’histoire d’Hedda est hautement édifiante. Une belle pièce intelligente donc. Un hommage rendu au théâtre en général, à celui d’Ibsen en particulier. Les comédiens sont formidables. Annah Schaeffer, Yohann Blanc et Carlo Brandt ont un talent fou. Alexandre Trocki est affreusement attachant. À voir jusqu’au 9 juin à Berthier puis en tournée.
Hedda / Variation contemporaine d’après Hedda Gabler d’Ibsen
Texte et dramaturgie Sébastien Monfè, Mira Goldwicht
Conception, mise en scène et direction Aurore Fattier
Avec Fabrice Adde, Delphine Bibet, Yoann Blanc, Carlo Brandt, Lara Ceulemans, Valentine Gérard, Fabien Magry, Deborah Marchal, Annah Schaeffer, Alexandre Trocki, Maud Wyler
Cinématographie Vincent Pinckaers
Scénographie Marc Lainé en collaboration avec Stephan Zimmerli, Juliette Terreaux
Costumes Prunelle Rulens en collaboration avec Odile Dubucq
Coiffure Isabel Garcia Moya
Maquillage Sophie Carlier
Habilleuse Anne-Sophie Vanhalle
Lumière Enrico Bagnoli
Composition musicale Maxence Vandevelde
Assistanat à la mise en scène Lara Ceulemans, Deborah Marchal
Direction technique Nathalie Borlée
Direction vidéo Gwen Laroche
Stagiaires Mégane Arnaud, Edouard Blaimont, Mahi Hadjammar, Berktan Yurdover
Production Théâtre de Liège ; DJ&C Création
Coproduction Solarium ASBL ; Théâtre National de Wallonie-Bruxelles ; Théâtre Royal de Namur ; ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie ; La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche ; Les Théâtres de la Ville du Luxembourg ; Théâtre National de Nice ; Mars-Mons Arts de la Scène ; Comédie de Reims ; Prospero – Extended Theatre est un projet cofinancé par le programme Europe Créative de l’Union Européenne qui comprend : le Théâtre de Liège ; Odéon – Théâtre de L’Europe, Paris ; Emilia Romagna Teatro Fondazione, Modène ; Göteborgs Stadsteater ; Hrvatsko narodno kazaliste u Zagrebu, Zagreb ; São Luiz Teatro Municipal, Lisbonne ; Schaubühne, Berlin ; Teatros del Canal, Madrid ; Teatr Powszechny, Warszawa
Soutien Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et Club des entreprises partenaires du Théâtre de Liège
Hedda Gabler d’Henrik Ibsen, dans la traduction de François Regnault, est publié aux éditions Théâtrales.
Durée : 2h35
La Comédie de Valence
les 26 et 27 avril 2023
Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris
du 12 mai au 9 juin
Mars – Mons arts de la scène
les 28 et 29 juin
Comédie CDN de Reims
les 13 et 14 décembre
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
les 12 et 13 janvier 2024
Maison de la Culture d’Amiens
les 17 et 18 janvier
Crédit photos Afffiche et © Claire Bodson
