
Entre chiens et loups, Christiane Jatahy nous plonge dans la meute au Festival d’Avignon
À Vedène, « l’Autre scène du grand Avignon », Christiane Jatahy questionne notre rapport au migrant en décalquant Dogville, le célèbre opus de Lars Von Trier, sous forme d’une expérience communautaire incluant les spectateurs du Festival d’Avignon dans la meute.
Vous souvenez-vous de Dogville ? Ce film étrangement théâtralisé où les acteurs se mouvaient sur un plateau nu dans des maisons matérialisées par des lignes au sol. L’histoire d’une femme en fuite, maltraitée par la communauté qui l’accueille. L’effort d’imagination que nous demandait Lars Von Trier pour le décor entrainait naturellement vers l’universel cette histoire particulière : elle était un ange, ils étaient la nature humaine. Chez Jatahy, l’ange devient la “migrante”, et la nature humaine, l’Occident. Nous, public, sommes invités dans une expérience communautaire.
Comment accueillons-nous les migrants ?
Au palmarès des migrants les plus acceptables par l’Occident, la migrante de Jahaty serait primée : femme, jeune, jolie sans être provocante, douce, sensible, probablement chrétienne, compréhensive, intelligente, coopérante : même les fachos seraient pour. Et pourtant, même pour elle, la communauté, vérolée par la jalousie des femmes et la testostérone des hommes, ne fera que rejeter, utiliser ou maltraiter la migrante, sans jamais penser la synergie possible : est-ce si verrouillé ? Si inscrit dans les gênes de l’Occident ? Sur le plan des mécanismes, on comprend que le simple fait de demander à la migrante une « compensation » par le travail est déjà la première marche vers le fascisme. Finalement, seul l’accueil sans condition nous protège de cet engrenage.
Illogiquement Christiane Jatahy nous sauve in extremis ; elle ne suit pas le scénario de Lars Von Trier qui finit par le massacre de la communauté. Merci à elle. La neige tombe sur le discours final de Gracia la migrante : page blanche pour un sursis. Ferons-nous mieux la prochaine fois ?
Malgré les merveilleuses et belles convictions qui nourrissent le fond, on peut trouver un brin réducteur et marketé le présupposé du migrant parfait et de l’occidental pourri. Comme un zoom sur une carte de géographie, ce que l’on y voit serait vrai, il ne dit rien de l’ensemble. Quant à la forme, elle est plombée par la facilité. La vidéo est une scorie pratique de mise en scène et de scénographie. Le décor en fouillis oblige à des déplacements plutôt artificiels qu’irréels. Une pièce conformiste sans grande saveur ; restent les acteurs, tous convaincants.
Entre chien et loup, d’après Lars von Trier, Théâtre Spectacle, de Christiane Jatahy
Crédit Photo © Christophe Raynaud de Lage