Certaines n’avaient jamais vu la mer Par Richard Brunel à La Manufacture des Oeillets
Richard Brunel adapte au théâtre le roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer, l’histoire de l’émigration japonaise en terre américaine. Le metteur en scène épouse le texte et son esprit dans une proposition douce et délicate pour cette reprise au Théâtre des Quartiers d’Ivry après la création pour les Carmes au Festival d’Avignon
Au début du 20e siècle des Japonaises gagnent en bateau dans des conditions précaires les États Unis pour se marier avec des compatriotes partis plus tôt dans le but de faire fortune. Pour elles, l’Amérique est une terre promise et leur espérance est au diapason de leur déception. Leur rêve rencontre une réalité plus sombre et les maris se révèlent plus vieux et souvent plus violents. L’Amérique est une nouvelle terre mais de besogne et lorsque l’installation semble réussie, elle ne résiste pas longtemps aux lendemains de l’attaque sur Pearl Harbour. En 1942 les Japonais repartent abandonnant tout derrière eux.
Cet épisode de l’histoire peu connu trouve enfin une fiction pour lui rendre justice. La pièce colle au roman éponyme. Dans un style que l’on retrouve souvent dans la littérature japonaise la description des affects est négligée au profit d’une cartographie et d’une radiographie précises des faits advenus. Par un suremploi de l’anaphore, le collectif prime, chaque personnage n’est que élément d’un tout.
Richard Brunel (Comédien et metteur en scène de théâtre et d’opéra, il dirige depuis 2010, La Comédie de Valence) a choisi une mise en scène idoine à l’esthétisme épuré, entre danse et naturalisme. Nous sommes désorientés par ce qui nous semble dépersonnalisé et désincarné. Souvent, en reste de personnages auxquels s’identifier, nous décrochons. Les motifs scéniques nombreux font spectacle et nous dédommage. La prose de Julie Otsuka parvient à nous au plus près du texte et de son esprit. Il faut se laisser faire par ce presque rien car Certaines n’avaient jamais vu la mer raconte une histoire oubliée, celle de l’exil et de ses avatars. Parce qu’au point d’orgue, Nathalie Dessay vient témoigner du vide indicible laissé par la fuite des Japonais. Parce que cette pièce exigeante pénètre lentement et dans l’après-coup nos esprits.
Parce qu’enfin il aura été abordé les migrations et l’exil loin des jérémiades et des braillements habituels.
Certaines n’avaient jamais vu la mer
durée 1h50
texte Julie Otsuka et mise en scène Richard Brunel
Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat – 94200 Ivry-sur-Seine
jusqu’au 25 Janvier