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À la Marge, l’existentialisme horrifique de Tomohiro Maekawa

À la Marge, l’existentialisme horrifique de Tomohiro Maekawa

24 November 2022 | PAR Adam Defalvard

À la Maison de la culture du Japon dans le cadre du Festival d’Automne, Tomohiro Maekawa présente pour la première fois son travail en dehors de son pays. Avec À la Marge, il dévoile son “théâtre de l’horreur philosophique” et interroge les fondations même de l’existence humaine en partant d’une banale rencontre dans un café… 

Le crâne et la porte

Tomohiro Maekawa est une figure majeure du théâtre contemporain au Japon : une de ses pièces les plus connues de science-fiction, La Promenade des envahisseurs, a même été adaptée au cinéma par Kurosawa sous le titre Avant que nous disparaissions. Avec À la Marge, il s’éloigne de la science-fiction pour permettre d’installer  sur la scène un trouble et un mystère encore plus grand.

Mei et Teradomari étaient ensemble à l’école il y a plus de vingt ans, ils se retrouvent dans un café et ce qui commence comme une banale conversation entre une secrétaire d’un cabinet de notaires et un livreur de colis se meut peu à peu en une grande épopée existentielle. Au fil des récits d’événements étranges survenus dans leurs vies, on se rend compte que cette conversation n’a rien d’ordinaire. Autour d’eux, des clients du café vont prendre tous les rôles, leurs frères, la mère de Mei, eux-mêmes parfois, et vont agir comme un chœur inquiétant. Tous les personnages entrent sur scène par une porte posée dans un coin du mur, on sait déjà qu’ils n’arrivent pas de manière classique, ils ne viennent pas forcément du “vrai” monde.

De même, le crâne posé sur l’étagère du café suffit à indiquer que cette retrouvaille cache quelque chose de sombre. En effet, un étrange grondement résonne dans la petite ville de temps à autre et semble annoncer l’arrivée de quelque chose de plus grand…

Des histoires à se raconter dans le noir

Les récits horrifiques que racontent Mei et Teradomari sont incroyablement prenants et les deux acteurs, Nobue Iketani et Junpei Yasui, sont parfaits dans leurs rôles de personnages de plus en plus lucides. On entend l’histoire d’un étrange magicien lié (ou pas ?) à la mort d’un politicien dont on a retrouvé dans le crâne un éclat de verre, celle d’une inquiétante masse noire qui s’approche de plus en plus et celle de l’acquisition d’un “regard clairvoyant”, capable de soudain révéler la réalité pour le meilleur et pour le pire.

Des récits qui s’avèrent bien sûr liés entre eux, celui de l’étrange masse noire s’affirme comme une vraie réussite horrifique. Une histoire qui commence lorsque Mei reçoit un mystérieux colis vide sur lequel il y a marqué “Le Néant”. Depuis la réception du colis, une étrange forme noire grandit dans un coin de sa chambre, jusqu’à complètement l’engloutir… Lors de la rencontre avec le metteur en scène à la fin du spectacle, il n’est pas étonnant de l’entendre dire que pour cette histoire, une des inspirations visuelles était la fameuse peinture de L’Araignée d’Odilon Redon. 

Le chemin de l’existentialisme

La réflexion philosophique est au centre de la pièce, dans la lignée de Sartre, de Camus ou même de Dostoïevski. Une réflexion classique mais bien amenée sur l’absurdité des règles régissant l’existence, sur le fait que finalement, on est libre de choisir de faire des erreurs de livraison, de brûler ses papiers, d’avoir 17 ans alors qu’on en a 70, de vivre à la marge. On assiste à tout un questionnement autour de la mémoire, du passé et du présent qui se mélangent, de la perception de la réalité et du fait que parfois, dans la magie, il n’y a pas de “truc”. 

Comme cela arrive souvent dans le genre horrifique, cela ne sert à rien de fuir ce qui nous fait peur, les grondements du néant qui se rapproche ne sont pas forcément à redouter. Inspiré par la philosophie bouddhiste autour du rien, Maekawa introduit la notion qu’il faut peut-être aller à la rencontre de ce néant pour pouvoir créer quelque chose de nouveau, selon le mot de la fin, “quelque chose de plus beau”.

À La Marge est un spectacle impressionnant de richesse, un théâtre d’horreur et de l’absurde maîtrisé qui laisse la place au spectateur pour amorcer ses propres interprétations. On espère que les prochains projets de Tomohiro Maekawa continueront d’être présentés en France.

Jusqu’au 26 novembre à la Maison de la culture du Japon dans le cadre du Festival d’Automne. Plus d’informations ici.

Visuels : © Aki Tanaka

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Adam Defalvard

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