
« Les souvenirs d’un pauvre diable », d’Octave Mirbeau, incroyables Patrick Coulais et Yves Rocamora
Rendre Mirbeau clownesque et hyper audible ? C’est le pari réussi qu’a proposé Anne-Revel Bertrand à Patrick Coulais et Yves Rocamora qui l’ont brillamment relevé. Les souvenirs d’un pauvre diable nous racontent une enfance passée dans une famille infernale. Au-delà du pléonasme, le Théâtre du Marais nous offre une nouvelle fois la preuve que classicisme ne rime pas avec ennui.
Ils sont deux pour un. Il faut au moins ça pour entrer dans la tête de ce petit garçon en pleine croissance entouré de deux sœurs gloussantes et de deux parents à côté de la plaque. Ils entrent en scène l’un après l’autre, jouant avec l’espace, débordant de la scène. Ils utilisent les portes, se servent de jeux de lumières inventifs permettant d’appuyer leur récit. Le texte est d’époque (1895), il est paru sous la forme d’un feuilleton dans “Le journal”. Les costumes jouent la carte du classique : pantalons strictes, chemise blanche surplombée d’un gilet de costume, cravates en rubans inspirés du jabot. Dans ce cadre-là, plutôt austère. Le brillant duo apporte toute la modernité et la distance nécessaire pour appréhender avec nos yeux du XXIe siècle, une langue parfois datée. Ils sont aidés par la musique de Patrick Durand qui vient ponctuer les scènes et leur apporter la dose de bouffonnerie.
A eux deux ils incarnent les scènes de la vie quotidienne du petit Octave. Tout est noir dans son environnement. Le petit génie est incompris. Alors il se prend de passion pour dame nature. “La famille ne produit (…)que des malheureux” nous disent/ dit-il/ils. Dans un jeu d’attirance et de répulsion, c’est une déclaration de haine et d’amour que livrent les deux bonhommes.
Ils jouent magnifiquement. Cela n’est pas une surprise, les deux ont de la bouteille. Ils savent tenir la scène, se métamorphoser en un clin d’œil et devenir, sans esbroufe ni excès, une vielle cousine en rut, un beau-frère sans le sou ou un papa pris la main dans le sac de Mariette !
Ce récit autobiographique nous raconte avec délice l’enfance de l’un des plus grands auteurs du presque XXe siècle. Tout est juste ici, il faut se laisser porter par ce récit qui en apparence peut s’avérer hostile et qui se révèle acide et joyeux à souhait !
Visuel (c) Julien Borel