
La haine d’Angelica Liddell
De la violence sous toutes ses formes, c’est ce que nous propose Angelica Liddell pour la reprise d’un spectacle crée en 2005, présenté à Avignon en 2011, El año de Ricardo, une version très personnelle de Richard III.
Sur le fond rien de nouveau : tous les malheurs du monde, la Shoah en tête, sont listés dans une diarrhée verbale proche du phrasé des chanteurs de reggaeton latinos. Sur la forme, c’est déjà plus intéressant. Ils sont deux, elle, Richard et Lui, Catesby.
Elle hurle et vibre en même temps dans un flot assourdissant. Comment entendre ? Peut-être faut-il seulement regarder. Elle a un maquillage de clown, des yeux de folle, un corps maigre. Elle est survivante désirant mourir, elle a sur ses épaules le XXe siècle barbare.
La vraie violence dans ce spectacle vient des images. Le décor d’abord. Sur un plateau rouge sont posés des meubles en botte de foin. Sommes-nous à la campagne ? Dans un cimetière (une tombe d’enfant git près de la rampe). Pour oublier l’horreur qui l’abreuve, ce Richard se saoule à la bière en la buvant trivialement au goulot. Il tremble, vomit, s’enfourne des doigts, mime des jeux sexuels. Tout est là pour dire l’humiliation et la haine face au totalitarismes. Pour Angelica Liddell, nous, “convaincus de ne pas avoir collaborés” sommes tous responsables. Dans une scène insoutenable, elle lit Si c’est un homme et insulte Primo Levi. Il a parlé, nous savons, comment vivre en sachant ? Moins subtile qu’ Hannah Arendt, le propos fait pour choquer, répugne. L’objectif est atteint. Le Requiem de Purcell peut alors retentir, encore, comme une litanie.
La proposition est résolument aride et c’est là que réside la force de ce seule en scène déguisé où l’autre n’est là que pour servir de souffre-douleur. Ce spectacle, pensé après l’effondrement des Tours Jumelles, année où Jan Fabre présentait Je suis sang, chorégraphie prophétique parlant elle aussi de la violence guerrière. El año de Ricardo est le témoin du passage de relais entre deux siècles. Nous étions entrés dans le XXe par la première Guerre Mondiale, nous sommes entrés dans le XXIe par les attentats du 11 septembre.
Deux heures durant elle insulte son héritage morbide, faisant, dans une dernière partie absolument remarquable, un cirque chinois parfaitement décalé où s’amalgament les crimes d’ Hiroshima et les massacres de Richard III dans un même geste étonnamment juste.
Attirance et répulsion se mêlent à l’instar des relations ambiguës existant entre les peuples et leurs dictateurs. El año de Ricardo s’avale, se digère et laisse un goût ineffaçable dans la bouche.
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