Opéra
L’Opéra National de Bordeaux touche au divin avec un requiem politique

L’Opéra National de Bordeaux touche au divin avec un requiem politique

22 January 2023 | PAR Pascal Gauzes

Les choix d’Emmanuel Hondré, nouveau directeur de l’ONB, se suivent et s’affirment comme hautement engagés. Pour ce Requiem, c’est un double défi qu’il a lancé à Stéphane Braunschweig : mettre en scène un oratorio et en faire une production 100% « zéro achat ». Défi relevé d’une main de maître ! Cette messe des morts s’impose comme un nouvel étalon or, conciliant politique et divin.

La mise en scène d’un oratorio…

Le Requiem de Mozart a presque fait couler autant d’encre que de larmes, entouré par un voile d’interrogations, toujours persistantes, sur les parties inachevées de l’œuvre posthume du compositeur autrichien. Ajoutez à cela la puissance de cette messe… Ce monument de musique sacrée est un intouchable, et s’y attaquer peut vite basculer dans le sacrilège s’il est malmené. Aussi, cette création de l’Opéra National de Bordeaux suscitait un vif engouement pour un public, à n’en pas douter, prêt à sanctionner tout faux pas…

En effet, mettre en scène une messe des morts n’est pas habituel : la transition vers l’opératique implique la présence de décors, de costumes, de lumières et l’absence de partition pour un chœur qui n’est pas rompu à l’exercice symphonique. Comme si ce premier challenge ne lui suffisait pas, Emmanuel Hondré souhaitait donner à cette mise en scène un caractère inédit dans une maison d’opéra nationale, en imposant une production 100% « zéro achat », entrainant un basculement du religieux dans l’écologie moderne : les matériaux disposent d’une vie après la mort. Audacieux s’il en est, ce choix aurait pu prêter facilement le flan à force critiques s’il n’avait pas été extrêmement bien endossé par un Stéphane Braunschweig, qui en jouant la carte du l’universel, réussit même la prouesse d’initier aux rites cultuels.

Universelle et pourtant très religieuse

C’est donc devant un orchestre en fosse, dirigé de manière très novatrice par Roberto Gonzalez-Monjas et une scène d’un blanc céleste que démarre cette messe des morts, dont on comprend, dès les premières secondes, qu’elle ne laissera aucun spectateur indemne. Lumière éclatante, fumée, boîtes alignées figurant avec froideur des cercueils après, au choix, une pandémie, une guerre, un attentat – l’Histoire du XXIe siècle dispose déjà de ce triste palmarès –. Le rideau entourant la scène s’ouvre faisant apparaître le chœur. À voir celui-ci : un alignement de quasi morts vivants dont les vêtements sont recouverts de poussière ; les images du 11 septembre reviennent immédiatement à la mémoire… C’est une vision collective, et donc universelle de la mort, qui est choisie ici. Elle est cependant matinée de personnification par la présence de la soprano, Hélène Carpentier, en costume du XVIIIe siècle (costume qu’elle abandonnera par la suite, laissant derrière elle sa veste tel un linceul – évocation subtile de cet attribut funéraire christique – avant de rejoindre le chœur et les trois autres solistes, dans une tenue similaire). Un jeu de costume d’ailleurs riche de symbole pour rappeler la mort de Mozart durant l’écriture de l’œuvre.

Se dirigeant vers ces cercueils de fortune, le chœur s’assoit dessus, figurant ainsi des bancs d’église. Ils sont ensuite déplacés, pour former d’autres éléments : un cœur d’église, ou le cercueil du défunt. Ces déplacements imposent des intermèdes, qui ne sont pas sans évoquer les moments de recueillement, introspection pour certains ou prière pour d’autres, qui rythment les messes. Ainsi, si la scénographie coupe le déroulé classique de la version symphonique, elle n’en altère pas le sens, au contraire, elle symbolise même de manière étonnement efficace la structure de l’œuvre, et ainsi de la liturgie.

Ces changements de dispositions et de position du chœur offrent ainsi une modulation de l’acoustique, transformant l’écoute. Si la solennité bouleversée peut choquer les puristes, elle ne tombe à aucun moment dans le parodique, et la beauté de certains tableaux (particulièrement un, évoquant Le Radeau de la Méduse) donne un supplément d’âme.

Si l’on peut être surpris en premier lieu par l’absence de marqueurs religieux, on est impressionné par l’apparition, par un jeu de miroir, d’une croix christique formée par ces boîtes que le chœur déplace avec patience et ferveur, évitant ainsi de tomber dans la déconstruction totale du caractère chrétien de l’œuvre, et des croyances de son compositeur. Ce même jeu de miroir nous avait, quelques minutes auparavant, mis face à nous-mêmes, dans une mise en abîme aussi poétique que métaphysique. Avec peu – puisque cette mise en scène n’est faite d’éléments préexistants ou de récupération de la filière viticoles (pour les boîtes) – Stéphane Braunschweig arrive à faire beaucoup et de très belle manière.

Un challenge vocal

Côté voix, il y a forcément certaines dissonances dues au changement de registre, mais qui passent presque au second plan. La direction de l’orchestre est novatrice avec des tempos et des puissances inhabituels, ce qui permet au chœur de suivre un livret, très différent de ses références usuelles. On peut regretter certaines attaques trop tranchées particulièrement pour les dentales du Dies Irae, mais les harmonies de voix sont célestes et certaines basses, semblant venir d’outre-tombe, permettent de toucher les sentiments les plus profonds. Les solistes sont finalement les plus malmenés en cherchant le juste équilibre entre interprétation et jeu opératique. Thomas Dear (basse) reste un peu trop dans le rôle du héros rédempteur, quand Oleksly Palchykov (ténor) se défait mal du costume du prétendant, mais leurs performances ne souffrent pas de cette difficile posture. Hélène Carpentier (soprano) est convaincante, enfin la force que Fleur Baron (mezzo) s’impose lui confère un jeu plus sombre, qui lui sied.

Sans dévoiler la puissance du tableau final, le lux aeterna est sublimé par, justement, la lumière, qui joue un rôle majeur durant toute l’heure de cette messe et permet d’apprécier la finesse du maquillage de ce chœur et de ces solistes, dont on ne peut pas vraiment savoir, à l’issue de cette mise en scène, s’ils sont réellement libérés de l’angoisse de la mort.

Le requiem, dans cette version iconoclaste et risquée, reçoit une ovation unanime et plus que méritée du public bordelais. Une mise en scène qui tient ses promesses, et va même bien au-delà en bousculant la frontière entre le sacré et l’humain.

Requiem KW 626 – Wolgang Amadeus Mozart – Grand-Théâtre de Bordeaux du 20 au 28 janvier 2023

Visuels : © Eric Bouloumié

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Pascal Gauzes
Pascal Gauzes est ingénieur agronome et diplômé de SciencesPo Paris, après avoir commencé sa carrière en marketing, il s'est orienté vers le monde de l'art et de la culture en dirigeant une galerie pour artistes émergents et en tant que directeur communication d'un musée parisien. Il collabore avec Toute La Culture depuis presque 10 ans.

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