L’Heure espagnole – L’Enfant et les sortilèges à la Scala de Milan : Ah! la formidable aventure!
L’opéra français est actuellement à l’honneur à la Scala de Milan avec le diptyque de Ravel L’Heure espagnole – L’Enfant et les sortilèges porté par un plateau exceptionnel. Deux mezzos françaises, Stéphanie d’Oustrac et Marianne Crebassa, tiennent les rôles principaux sous la baguette de Marc Minkowski, le tout dans la mise en scène de Laurent Pelly déjà reprise l’été dernier au Festival de Glyndebourne. Bien qu’elle soit espagnole, l’heure semble donc tout de même bien être à la french touch!
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Si se rendre à la Scala est déjà un merveilleux spectacle en soit, force est d’admettre que cette salle est à la hauteur de sa renommée avec cette production, ou plutôt ces productions. La soirée débute par L’Heure espagnole, que l’on a déjà pu voir en 2004 à Paris, par exemple, lorsque Sophie Koch tenait le rôle de l’épouse. Ici, c’est Stéphanie d’Oustrac qui prête à nouveau ses (at)traits au personnage de Concepcion après l’avoir déjà fait lors du festival de Glyndebourne en 2012 (un DVD est d’ailleurs disponible).
L’histoire basée sur l’œuvre de Franc-Nohain est assez simple et divertissante : une femme, Concepcion, s’ennuie et prévoie de tromper son mari horloger, Torquemada, ou Totor pour l’intime. Profitant du travail de son époux hors de sa boutique, Concepcion attend Gonzalve, un poète qui s’avère finalement trop porté sur les mots là où la femme attend impatiemment des actes. Chose embarrassante : la présence imprévue de Ramiro, un muletier venu faire réparer sa montre et laissé là par l’horloger le temps de sa course à l’extérieur. Concepcion n’a alors de cesse de lui faire transporter de lourdes horloges dans le but de rester seule avec son amant, ce qu’exécute Ramiro, tout heureux de pouvoir aider et pour qui ces meubles ne sont pas plus lourds que deux plumes. Afin de rendre la situation plus cocasse encore, le banquier Don Inigo Gomez choisit cet instant opportun pour se déclarer avec ardeur à la belle qui n’est pas du tout intéressée. Ce qui devait arriver arrive donc : elle finit par faire monter avec Ramiro dans sa chambre, sans horloge cette fois, tandis que les deux autres hommes se retrouvent face au mari rentré de sa course et doivent lui acheter les fameuses pendules pour donner le change.
Une fable somme toute légère au nombreux sous-entendus et jeux de mots qui ne laissent que peu de doute sur l’esprit du texte et l’intrigue sexuelle au centre de l’histoire. On pourrait donc à partir de là craindre de sombrer aisément dans le grivois et la lourdeur du surplus de connotations déplacées en-dessous de la ceinture. Il n’en est rien ici : Laurent Pelly assume totalement le livret et y mêle beaucoup d’humour, par touches finalement légères et parfaitement dosées dans un décor chargé qui attire l’oeil sans pour autant déconcentrer. La direction d’acteur est quant à elle intelligente et ludique. Sur scène, Stéphanie d’Oustrac offre d’ailleurs une Concepcion délicieuse, naturelle, drôle, et au caractère bien trempée. Si la mezzo-soprano excelle habituellement dans la profondeur de la tragédie, elle fait ici de même dans la légèreté de la comédie, sans jamais délaisser le chant et bien entendu la prononciation.
Dans le rôle de Gonzalve, l’excellent Yann Beuron retrouve Laurent Pelly après Le Roi Carotte de Lyon (qui vient par ailleurs d’être récompensé aux Opéra Awards), mais également ce rôle qu’il avait déjà interprété dans cette mise en scène en 2004 à Paris. Il fait de ce Gonzalve un personnage risible dans son obsession des vers qui lui permet au passage de faire entendre une voix toujours aussi agréable et une prononciation an accord avec celle de sa partenaire. Jean-Luc Ballestra offre pour sa part un agréable Ramiro, tandis que Jean-Paul Fouchécourt joue un Torquemada peut-être pas si dupe que ça dans la vente de ses horloges. Enfin, Vincent Le Texier campe un Don Inigo Gomez insistant et comique. La partition de Ravel permet ici d’atténuer son vibrato excessif que nous avons souligné lors de précédentes productions, rendant la voix plus agréable.
Vient ensuite L’Enfant et les sortilèges où l’on retrouve trois des interprètes entendus avant l’entracte. Dans une certaine logique, Jean-Luc Ballestra finit en Horloge Comtoise après en avoir tant porté, avant d’être finalement le Chat. Jean-Paul Fouchécourt incarne pour sa part la Théière, le Petit vieillard et surtout une Rainette absolument superbe. Stéphanie d’Oustrac joue quant à elle la Chatte quelque peu aguicheuse mais aussi l’Ecureuil apeuré. Notons tout de même un duo des chats qui nous paraît moins amusant qu’à l’accoutumé…
Armelle Khourdoïan prend ici les rôles tenus par Sabine Devieilhe l’été dernier, à savoir ceux du Feu, de la Princesse et du Rossignol, et en tient les attentes. Le Feu est impétueux, la Princesse est douce, apaisante, et l’on finit par s’interroger nous aussi sur sa fin maintenant que les pages de son livre ont été déchirées. Face à un tel plateau, les Maman, Tasse chinoise et Libellule de Delphine Haidan paraissent un peu plus faibles que les autres personnages, notamment pour ce qui est de la Libellule. Le Choeur de la Scala offre de son côté une prestation remarquable, y compris dans la prononciation du français, avec entre autre le magnifique passage des pastourelles et des pastoureaux de la tapisserie.
De son côté, Marianne Crebassa donne à voir et à entendre un Enfant d’une crédibilité déconcertante à la diction remarquable. Si les décors et le costume aident indéniablement à la confection du personnage, le jeu de la mezzo-soprano n’en demeure pas moins fabuleux dans sa démarche, ses mimiques, ses expressions ou encore ses intonations.
Enfin, pour cette deuxième oeuvre, Laurent Pelly nous plonge dans un véritable univers féerique où l’humour a toujours sa place, mais où la salle est portée avant tout par la tendresse et le merveilleux. L’idée de disproportion est d’ailleurs elle aussi merveilleuse, parfois fantastique, le tout sublimé par des costumes de rêve et porté par l’Orchestre de la Scala sous la baguette toujours excellente de Marc Minkowski.
©Brescia/Amisano – Teatro alla Scala