La compagnie Opéra Éclaté présente une version très sensuelle de Cosi fan tutte à l’Opéra de Clermont Auvergne
C’est sous le double signe du rouge, le décor unique, et du blanc, les costumes, que Cosi fan tutte a été présenté jeudi et vendredi derniers à l’Opéra de Clermont-Auvergne dans une mise en scène à la fois dynamique et sensuelle signée Eric Perez.
Par Hélène Biard
Dernier opéra de la trilogie Mozart / Da Ponte, Cosi fan tutte achève aussi le cycle commencé par Eric Perez, en tant que metteur en scène, en 2015 avec Don Giovanni. Cette finalisation rappelle avec subtilité les deux productions précédentes : le décor unique, qui prend la forme d’une pièce unique avec une palissade bordée par derrière d’une coursive, est rouge (comme les costumes et les décors de Don Giovanni) alors que les costumes, tous superbes, sont blancs, comme les costumes et les décors des Noces de Figaro (créé en 2017 au festival de Saint Céré). Présentée pour la première fois le 16 juillet dernier au festival d’Eauze (dans le département du Gers), la production est partie en tournée depuis le mois de septembre est s’est arrêtée pour deux soirées à l’Opéra de Clermont-Auvergne, partenaire fidèle de la compagnie Opéra Éclaté.
Une mise en scène en blanc et rouge
Le fil rouge de la trilogie Mozart / Da Ponte voulu par le metteur en scène Eric Perez, qui est aussi comédien et chanteur, est le blanc et le rouge. C’est pourquoi le décor unique, réalisé par Patrice Gouron, est rouge, et les costumes de Stella Croce sont blancs sonnant ainsi comme un rappel des deux productions précédentes. Eric Perez signe une mise en scène dynamique et très sensuelle telle un laboratoire dont les deux chercheurs sont Don Alfonso et Despina et dont les cobayes sont Fiordilligi, Dorabella, Ferrando et Guglielmo. Le pari entre les trois hommes devient l’objet de la recherche tandis que le comportement et les réactions de leurs fiancées sont observés à la loupe. C’est une lecture peu banale mais qui fonctionne parfaitement et qui a reçu un accueil très enthousiaste de la part d’un public venu nombreux en ce jeudi soir d’octobre.
Une distribution jeune, enthousiaste et soudée
Pour cette production, Eric Perez a réuni une distribution jeune et très motivée par le défi lancé ; dès le début de la soirée on remarque que les six jeunes gens sont soudés. C’est Julie Goussot qui incarne Fiordiligi ; elle campe une jeune femme déterminée (« Temerari … Come scoglio »), sûre d’elle, prête à tout pour ne pas céder aux sentiments qui l’envahissent à mesure que passe le temps. Goussot interprète ses deux arias avec un aplomb qui n’a rien à envier aux meilleures Fiordiligi passées et présentes ; tout y est dans cette jeune et belle voix : médium superbes, graves assumés, aigus insolents. Ania Wozniak est une Dorabella tout aussi convaincante que sa sœur scénique ; plus légère que Fiordiligi, Dorabella passe du désespoir (« Ah, scostati .. Smanie implacabili ») à l’euphorie du nouvel amour (« E amore un ladroncello ») sans se poser trop de questions. On ne peut qu’apprécier une telle Dorabella tant cette adorable tête folle attire la sympathie ; vocalement, Wozniak est irréprochable et elle interprète ses deux arias avec une fougue peu commune. Marilou Jacquard est une Despina mordante très remontée contre la gent masculine (« In uomini, in soldati … ») qu’elle ne manque jamais d’égratigner tant devant les deux sœurs que devant Don Alfonso avec qui elle joue cependant un jeu assez savoureux, voire même malsain à certains moments. Nous avons pu aussi apprécier une voix de toute beauté qui « avale » sans efforts ses arias. En ce qui concerne la distribution masculine, nous avons également trois excellents chanteurs. À l’origine, c’est Jean Miannay qui devait incarner Ferrando ; mais malade il a dû renoncer aux deux soirées clermontoises et a été remplacé par le jeune et séduisant ténor malgache Blaise Rantoanina. Le jeune homme s’est parfaitement intégré tant à l’équipe, avec qui il a tissé des liens très forts qu’à la mise en scène qu’il a fait sienne avec une aisance hors du commun. La belle voix de Rantoanina épouse aisément la tessiture du personnage dont les deux airs sont interprétés avec assurance à commencer par « Un’aura amorosa ». Face au très beau et juvénile Ferrando de Rantoanina, on trouve l’inénarrable Guglielmo de Mikael Piccone qui semble s’amuser beaucoup sur la scène de l’Opéra de Clermont-Auvergne ; le simple fait « d’échanger » entre eux leurs fiancées pour examiner leurs réactions face à de nouveaux soupirants semble réjouir le jeune homme qui dès « Rivolgete lo sguardo … » fait montre d’une fermeté sans égale. Antoine Foulon est un Don Alfonso cynique et retors à souhait et se montre aussi remarquable que ses collègues.
Un orchestre au top
Dans la fosse c’est l’orchestre d’Opéra Éclaté, dirigé par Gaspard Brécourt, qui joue avec talent la partition de Mozart. La direction ferme et avisée de Brécourt fait ressortir la musique du divin Mozart avec beaucoup de force et de belles couleurs bien que l’orchestre soit un orchestre « de poche ».
Si on peut regretter que les interventions du chœur, aussi rares soient elles aient été purement et simplement supprimées, nous avons assisté à une représentation remarquable de Cosi fan tutte. Eric Perez, qui a réuni une très belle et très jeune distribution signe une mise en scène dynamique et originale qui gagne grandement à être vue.
Crédit photos : © Nelly Blaya