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Les Nomades d’Irlande campent chez Zingaro

Les Nomades d’Irlande campent chez Zingaro

18 October 2022 | PAR Nicolas Villodre

Ayant obtenu la reconnaissance de leur statut de groupe ethnique en 2017 par le Parlement de la République d’Irlande, les Irish Travellers ou Bohémiens de l’île d’Émeraude font l’objet du dernier spectacle en date de Bartabas que nous avons vu en primeur au Théâtre équestre Zingaro, à Aubervilliers, à côté de la piscine olympique en construction.

Psychogéographie de la gitanité

Depuis près de quarante ans, Bartabas explore le champ du théâtre équestre, une discipline  sportive et artistique pratiquée dès l’âge antique. Il en a tiré une bonne douzaine de spectacles mémorables et, par là même, constitué un genre nouveau, appelé tantôt théâtre équestre, tantôt cabaret équestre. Cette obsession cavalière a été littéralement un véhicule qui lui a permis de découvrir le monde et d’en traduire les impressions et observations personnelles sous diverses formes artistiques – écriture, mises en scène, réalisations filmiques, créations plastiques, programmations musicales, modulations lumineuses.

Après un premier volet de ce qu’il a appelé “cabaret de l’exil”, qui était consacré à la culture yiddish et à sa musique klezmer, Bartabas s’est focalisé sur les “nomades d’origine irlandaise en exil dans leur propre pays”. Ce peuple “voyageur” composé il y a lurette de tinkers (d’étameurs), possédait et détient toujours sa propre langue, une crypto-langue nommée shelta. Les poèmes chantés choisis pour ce spectacle qui en font une véritable comédie musicale prête pour Broadway ou le West End, sont cependant interprétés en anglais par l’excellent Thomas McCarthy, lui-même issu de la communauté des travellers, il est vrai avec un fort accent irlandais. 

Visions

Après le temps de la visio, vient ou revient celui de la vision. Des visions du créateur Bartabas, simples d’apparence, mais qui demandent un savoir-faire ancestral. Dans ce nouvel opus, il ne recourt à aucun effet spécial, aucune épate, aucun artifice autre que ceux traditionnels, tels que fixés au XIXe siècle : apparitions-disparitions, fondus au noir, éclairage à l’économie, aucune sono ostensible, aucune électronique hors celle de l’invisible régie… Nous n’avons pas eu droit au vin chaud rituel dans le hall d’entrée de la cathédrale de bois – les nouveaux limonadiers, des gauchos argentins, ne l’ont pas au menu. Les chanceux des premiers rangs peuvent prendre place autour de petites tables de night-club, éclairées à la bougie, sur lesquelles attendent verres et carafons proposant un cordial. La chaleur est la première sensation recherchée. Les refrains évoquent d’emblée l’incendie d’une roulotte après la mort de sa propriétaire – le feu étant symbole de volatilisation et de purification. Le spectacle se terminera autour d’un feu de camp unissant artistes, machinos et Bartabas.

Inutile de dire que les numéros équestres sont du plus haut niveau. Aussi bien ceux des jockeys de haute volée que des écuyères exécutant des sauts périlleux ou, pour l’une d’elle, provoquant en duel musical l’accordéoniste (Ronan Bléjean) puis le violoniste (Gerry O’Connor) de l’orchestre tradi complété au bodhran (tambourin) et au piano par Jean-Bernard Mondolini et aux Ulleann pipes (cornemuse irlandaise) par Loïc Bléjean. Le bestiaire n’est pas mal non plus. Les oies ont fait place à des dindes. Les moutons blancs de toison, noirs de pattes et de museau hésitent entre le bien (le curé en surplis) et la mal (Satan à la tête cornue). On a droit, comme prévu, à une routine de clock dance (de claquettes) administrée par Mickaël G. Jouffray sur un gigantesque tonneau déniché dans une brocante du côté de Dublin – n’oublions pas les origines irlandaises de Gene Kelly. Les chevaux, mule et âne sont formidablement castés – dignes de John Ford, de parents irlandais. Le morceau de bravoure étant ce soir-là le numéro de corde volante de Leonardo Montresor.

Visuel : Cabaret de l’exil, Irish Travellers © Hugo Marty

La nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, conçue et mise en scène par Bartabas, est présentée au Fort d’Aubervilliers du 18 octobre au 31 décembre 2022. Mardi, mercredi, vendredi, samedi à 19h30, dimanche à 17h30, relâche : lundi et jeudi.

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Nicolas Villodre

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