Danse
“Nos Corps vivants”: En retournant la représentation

“Nos Corps vivants”: En retournant la représentation

22 April 2022 | PAR Antoine Couder

Créés en 2021 et présentés au Théâtre de la Ville – Espace Cardin, dans le cadre de la programmation « Jeunes créateurs-temps forts », ces Corps vivants inaugurent un premier solo d’Arthur Perole.

Je vous ai apporté des bonbons

Ce pourrait être une performance comme il y en a tant. Le déplacement de l’espace scénique avec un chorégraphe qui passe dans les rangs des spectateurs en offrant des bonbons. Une ambiance de « grand mix sonore » avant l’inévitable moment de nostalgie et le « Message personnel » de Michel Berger interprété par une Françoise Hardy qui n’a jamais aussi bien chanté. Arthur Perole est au centre de la mini-scène. Il a sans doute revêtu le petit haut « sparkle » de sa mère, ainsi que son  (faux) vison. Ses cheveux sont teints en blond. Il danse, nous dit-il, depuis l’âge de trois ans et c’est par cela qu’il faut commencer, sur ce jeu entre esquive et célébration qui rythme sa danse de panda triste ; échappée belle de cette école du cirque dont il a finalement pris congé pour se consacrer à la danse. Quelque chose de brut et de charmatzien.

Les piles de la Barbie

Tout au long du solo, le burlesque s’invite dans ce qu’Arthur appelle « l’amour de la fête, le besoin de vivre de grande émotion ». Ce besoin s’invite, plus exactement pénètre ses mouvements comme un poison prendrait possession de ses moyens. Le sourire attendu du jeune danseur se tord dans une moue appuyée,  la quête de la lumière débarassée de gestes chorégraphiques apparaît à blanc, dans leur cruelle intention. Il souligne l’un des points d’orgue de ces « corps vivants » qui suspendent le soliste à sa régie, à son DJ ; sans réelle volonté de continuer, mais porté par le dispositif ; le spectacle, la vie, la fête. Un«  show must go on » qui déshabille la logique du mouvement, son désir d’abord puis son expression corporelle. Sous couvert d’improvisation et d’explosion scénographique, ces « Corps vivants » sont paradoxalement exposés ici dans leur dimension cartésienne, la séparation du corps et de l’esprit sans que l’on sache vraiment qui domine qui. Parle à mon cul, ma tête est malade ou alors l’inverse. On passe de l’un à l’autre dans un petit tremblement, comme si l’on tenait une Barbie dans ses mains d’enfants, appuyant sur son ventre pour constater que les piles vont bientôt lâcher.

Comme ma grande soeur

On est clairement intrigué lorsque l’on finit par comprendre cette mécanique toute simple (ce pourrait durer éternellement, pourquoi pas deux heures ou pourquoi pas dix minutes). Enchaînements balancés sur le mode du regardez-moi, portés par une bande-son du genre podcast intimiste où les accents durassiens se mêlent à des témoignages de jeunes et de moins jeunes, France Culture la nuit dans les années 1980, enrobés d’une musique qui semble “cutée” sur la bande-FM (production intense de Marco Vivaldi). Nostalgie toujours, mais pas que, le travail sonore aboutissant ici à créer une texture, une marmelade de vibes dans lesquelles les gestes s’animent, passant de la danse à la non-danse ; couvrant finalement toute la surface de représentation du mouvement. « J’ai commencé la danse pour faire comme ma grande sœur, explique le chorégraphe. Comme mes parents dansaient beaucoup, ce n’était pas un problème de pratiquer la danse en tant que garçon ».

Glouglou métaphysique

Pas de problème, mais quand même, quelques problèmes à terminer la pièce, à en dire la fin. Est-ce encore le gosse qui danse pour faire plaisir à ses parents ? Est-ce encore et toujours ce moment d’effondrement du désir de plaire, ce dévoilement silencieux de l’être derrière la représentation. « Dix-septiémistes, oui dix-septiémiste » entend-ton sur la bande-son. Encore (toujours ?) cette convergence entre performance, gestes circassiens et retour au baroque, à la danse de cour ; à Versailles où le tempétueux Louis imposait des cours de danse à ses courtisans. La déconstruction de la chorégraphie repose la question de la tension du pouvoir que l’œil extérieur (pro)jette sur la scène. Il faudrait se faufiler, éviter l’instrumentation, mais surtout ne pas déplaire. Peut-être sans le vouloir, Arthur Perole dit beaucoup de ce qui pèse réellement sur les âmes d’aujourd’hui : cette cordiale pudeur, ce « I prefer not », ce glouglou métaphysique finalement préférable aux injonctions et au garde-à-vous. Ce n’est pas la fin, mais on y est presque. Arthur voudrait quitter la scène, mais son DJ l’en empêche. Alors, il enchaîne ; quelques restes de barre au sol, la recherche d’une ultime pose et puis ce tout petit merci, murmuré dans le silence. Quelques brillants faux départs qui disent clairement en quoi ces corps sont toujours vivants.

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« Nos corps vivants », Production CieF, avec les Théâtres en Dracénie, scène conventionnée, Les Hivernales, CDCN Avignon, Klap Maison pour la danse Marseille, Micadanse.

Photo : Nina-Flore Hernandez

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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