Les mémoires féministes de Wen Hui au Festival d’Automne
La chorégraphe et danseuse chinoise, fidèle alliée du Festival d’Automne, était à Paris, au Théâtre de la Ville pour fêter ses 60 ans dans un geste classique chez elle, celui de la danse-documentaire. Beau et triste à la fois.
I am 60 est un faux seule en scène. Wen Hui partage l’espace, elle le coupe en deux littéralement et déambule là au milieu de l’écran où une dame très âgée qui s’avérera être sa grande tante l’attend avec un homme plus jeune. En 1994, elle a fondé, avec le réalisateur de films documentaires Wu Wenguang, le Living Dance Studio, et depuis, son travail est comme cela, mixte. Elle fait dialoguer son corps avec les écrans où défilent des films, des archives, des photos…
Cette pièce, elle l’a écrite pour les femmes de sa famille, sa mère particulièrement, et pour toutes les femmes chinoises qui au XXe siècle se sont emparées tant bien que mal d’une forme d’indépendance, d’une force de pouvoir, et ce n’est pas Patti Smith qui dira l’inverse, n’est-ce pas Wen Hui ?
La pièce est belle, mais cela ne suffit pas de le dire, il faut l’expliquer. La lumière superbe de Romain de Lagarde donne aux tissus soyeux qui flottent parfois des allures de feu. Les images des films des années 30 : GODDESS, Daughter’s Bible, New Woman, An Amorous history of the Silver Screen nous placent dans le premier âge d’or du cinéma chinois où des personnages féminins ne sont pas qu’accessoires de beauté.
Mais l’art ne suffit pas, Wen Hui le sait et elle danse aussi la réalité et l’actualité. Elle danse des statistiques effrayantes sur les inégalités salariales encore plus fortes qu’en Europe et le nombre de féminicides effarants. Elle danse la misère, l’inégalité, la violence.
Et pour danser cela, elle flotte. Son corps est toujours au bord de la chute, ses hanches en bascule. Le geste part des doigts pour traverser le buste et atteindre l’autre main. Elle danse comme un oiseau blessé qui tombe au ralenti. Son cou est comme détaché, elle rebondit les pieds toujours très solides.
Tout peut être raconté alors, avec un tel mouvement. Wen Hui apparaît comme un phœnix qui a tout traversé : avortement sans anesthésie, tromperie grasse, mépris… et aujourd’hui elle renaît. Elle dit que dans la philosophie chinoise, 60 ans marque le démarrage d’un nouveau cycle. Elle s’attelle à rendre cette nouvelle ère puissante en faisant de son corps et ses films des courroies de transmission solides.
Visuel : Wen Hui, I am 60 © Li Yinjun