
Le masculin et le féminin selon Hofesh Shechter
Déjà invité à deux reprises par le Théâtre de la Ville, Hofesh Shechter revient cette année avec Uprising (2006) et The Art of Not Looking Back (2009), présenté pour la première fois à Paris. Un programme idéal pour découvrir le travail de ce chorégraphe israélien, installé à Londres.
Également percussionniste et compositeur de formation, Hofesh Shechter s’est vite distingué par sa maîtrise du rythme : au-delà de l’énergie et de la vitesse vertigineuse qu’il met en scène, son écriture chorégraphique s’apparente à l’art du montage : on y retrouve des effets de collage, de ralenti, d’accélération, de superposition. L’impression d’ensemble reste celle d’une grande fluidité, grâce à l’agencement éclairé de ces multiples fragments et à la maîtrise de l’espace.
Ce soir, c’est toutefois la programmation aux allures de diptyque qui nous a passionnés : les deux pièces proposées ont été créées l’une pour sept hommes, l’autre pour six femmes. On y retrouve les mêmes partis pris scénographiques : un plateau dénudé, ou presque, un éclairage puissant, un volume sonore entêtant.
Plus qu’une insurrection à proprement parler, Uprising évoque le surgissement toujours possible de la violence, son imminence – ainsi, une simple accolade peut rapidement virer au règlement de compte. « L’homme est un loup pour l’homme », nous rappelle Shechter. Pourtant l’homme demeure grégaire et irréductiblement joueur… Après tout, ces hommes vêtus de treillis se déplacent en chaussettes, et ne sont peut-être que des avatars d’ados attardés égarés dans leurs jeux vidéos.
Du côté des femmes, l’angle d’attaque diffère sensiblement en apparence, puisque le chorégraphe nous confie en voix-off sa difficulté à se reconstruire suite à l’abandon de sa mère. Une manière de revisiter l’enfance pour pouvoir enfin « ne plus regarder derrière soi », grandir. Lorsqu’il isole une des six protagonistes à la fin de la pièce pour lui dicter sa sentence, le verdict semble sans appel : « I don’t forgive you ». Un aveu qui vient pourtant clore un portrait si compréhensif de la condition des femmes, qu’on se permet d’en douter.
Car en effet, les femmes sont soumises tout au long de la pièce à des cadences et à des contraintes insoutenables. Si une violence sourde imprègne tous les rapports entre les hommes, les femmes elles, subissent seules ou à l’unisson un destin commun sans échappatoire : les spasmes désordonnés des phases de rébellion alternent avec une recherche dérisoire de perfection (incarnée par le ballet classique) et la répétition de tâches mécaniques menant à la démence, à des gestes saccadés vidés de leur sens. Autant de cycles à subir et à vivre, avec toute l’énergie du désespoir.
Comme pour sceller les résonances entre les deux pièces, le chorégraphe se permet d’ailleurs une ultime fantaisie : les sept danseurs d’Uprising réapparaissent pour un dernier tour de piste avant la clôture de The Art of Not Looking Back.
La sensibilité, la maturité et la justesse du jeune chorégraphe, alliées à la fulgurance et à l’élégance de sa chorégraphie, composent un des plus beaux hommages au masculin et au féminin qu’il nous ait été donné de voir ces derniers temps.
« La danse est un langage direct en relation avec l’espace, le monde social et politique, la sphère intime… C’est pourquoi je cherche à incorporer toutes ces énergies pour en faire sentir l’intelligence et l’émotion et à connecter le public avec elles. » Hofesh Shechter
Visuels : en une, Uprising © Gabriele Zucca
Uprising © Ben Rudick
The Art of Not Looking Back © Dee Conway
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