
Boris Charmatz et les enfants gâtés
Boris Charmatz présente au Théâtre de la ville la pièce qu’il a créée cet été pour la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon. Une pièce qui prolonge la réflexion qu’il mène depuis 2009 au CCN de Rennes sur les modes de production de la danse et son champ d’investigation (voir notre entretien et notre critique lors de la création à Avignon ).
« Enfant ». Et non « un enfant » ou « l’enfant », qui introduirait un rapport à la famille. La simplicité abstraite du titre n’élude pas l’ampleur du défi que s’est posé le chorégraphe : explorer la figure de l’enfant en tant qu’archétype, dans le champ de la danse ; un projet non sans analogie avec l’investigation que menait Marie Darrieussecq sur Le bébé dans le champ littéraire.
Sur scène, une grue, des poulies, un tapis roulant géant. Des adultes sont téléportés par la grue sur la scène, d’autres débarquent des coulisses avec des enfants dans les bras : une société se forme, funestement vêtue de noir, dominée et malmenée par cet univers mécanique et obscur. Les enfants, eux, sont endormis et opposent leur force d’inertie aux tentatives des adultes pour les ranimer, les animer, leur impulser un mouvement.
Traversé par les questions d’apprentissage et de transmission, Charmatz semble avoir choisi d’aborder son sujet sous cet angle. Quelle place pour chacun, quel rôle reste dévolu aux adultes face aux enfants ? Rapidement, un sentiment de confusion s’installe, qui confine au malaise, devant l’évidence de l’absence de dessein des membres adultes de cette société à l’endroit de leur progéniture. Les adultes s’épuisent dans une course incessante, s’agitent dans le plus grand désordre, pantins désarticulés qui se passent les enfants à tour de bras, sans rien leur communiquer d’autre qu’une tendresse fugace, non dénuée d’ambiguïté.
Puis entre en scène un joueur de cornemuse, lui aussi quelque peu déboussolé, mais qui finit par imposer la stridence éperdue de son instrument. Tente-t-il de dompter le chaos pour remettre un peu d’ordre dans cette société à la fois grave et sans repère ? Se rêve-t-il en cousin du joueur de flûte de Hamelin que tous n’auraient plus qu’à suivre les yeux fermés ? S’il semble y parvenir un temps, son emprise est de courte de durée. Les adultes sont déchaînés, arrachant chaussures et chemises, retombant même en enfance pour certains, entre cour de récréation et caprices mal maîtrisés.
Pour finir, les adultes tombent – d’épuisement ? – inertes à leur tour, laissant le champ libre aux enfants, que leur absence ne déboussole pas plus que leur présence brouillonne. Des enfants mus du même sentiment de responsabilité que les « anciens », de la même volonté de lutter contre l’inertie. Impuissants, il ne leur reste plus qu’à démontrer leur formidable énergie, petits êtres à l’innocence perdue mais qui n’en demeurent pas moins les formidables forces vives de demain.
Visuel : courtesy Boris Brussey.
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