Fictions
Sur la parution des œuvres complètes de Roberto Bolaño aux Editions de l’Olivier

Sur la parution des œuvres complètes de Roberto Bolaño aux Editions de l’Olivier

03 August 2022 | PAR Julien Coquet

La parution du sixième et dernier tome des œuvres complètes de l’écrivain chilien Roberto Bolaño nous donne l’occasion de revenir sur une œuvre foisonnante, mainte fois louée.

En juillet 2016, au Festival d’Avignon le metteur en scène démiurge Julien Gosselin (il mettra également en scène plusieurs romans de Don DeLillo) s’attaque à une immense œuvre littéraire, 2666 de Roberto Bolaño. Immense par son ampleur et les thèmes abordées, et immense par sa taille : alors que le spectacle dure 11h30, le livre, réédité aux Editions de l’Olivier dans le cadre de la parution des œuvres complètes de l’auteur chilien, comptabilise 1168 pages. Composée de cinq parties, le roman monstre s’attaque à la figure de l’écrivain rêvé Benno von Archimboldi. Paru de manière posthume en 2004 (Bolaño meurt en 2003 en Espagne), traversé par l’amour de la littérature et des crimes tous plus horribles les uns que les autres, 2666 converge vers la ville fictive de Santa Teresa, où se cacherait le mystérieux écrivain allemand.

Car toute l’œuvre de Bolaño est placée sous le signe de l’enquête. Sans être des romans policiers, les fictions de Bolaño se révèlent marquées par les questionnements, les recherches, les déplacements de villes en villes pour glaner une information afin de se rapprocher du but. Ce n’est donc pas un hasard si l’un des romans les plus remarqués de 2021, lui aussi marqué par l’enquête, cite expressément Roberto Bolaño dans son titre : La Plus secrète mémoire des hommes (titre directement emprunté à Les Détectives sauvages), de Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021. L’auteur sénégalais n’a jamais caché son admiration pour Bolaño, et signe d’ailleurs un bel hommage à 2666 dans Le Monde.

Chez Bolaño, le roman policier est déguisé : s’il y a des meurtres, on ne trouvera pas forcément le meurtrier. Si l’on part à la recherche d’un auteur disparu, la quête se poursuivra sur des centaines de pages, sans réelle progression. Les personnages se multiplient (bien malin serait celui qui souhaiterait répertorier tous les narrateurs de Les Détectives sauvages), apparaissent puis disparaissent sans raison. Ni Agatha Christie ni James Ellroy, Roberto Bolaño est Roberto Bolaño, un genre à lui tout seul, et une singularité qui a déstabilisé dès les années 1990 la critique littéraire. Si l’œuvre de Roberto Bolaño tient, c’est qu’il existe une dimension ludique. Le joueur est pris dans un jeu des énigmes, dans une constante étrangeté.

En plus de l’enquête, l’autre particularité des textes de Bolaño est d’avoir la littérature comme référentiel constant. Ses écrits parlent de littérature, et de l’attraction qu’exerce celle-ci. Par exemple, on fait la connaissance d’un écrivain imaginaire dès la première phrase de 2666 : « La première fois que Jean-Claude Pelletier lut Benno von Archimboldi… » Sans parler de la quête infinie menée par le jeune Juan Garcia Madero de la poétesse insaisissable Cesarea Tinajero dans Les Détectives sauvages. Et, sans même citer des textes, on pourrait mettre en avant deux titres qui parlent de l’amour de Bolaño pour la littérature : La Littérature nazie en Amérique et Conseils d’un disciple de Morrisson à un fanatique de Joyce.

Tout cela a fait de Roberto Bolaño un auteur à lire absolument. Et les écrivains qui le citent comme inspiration sont nombreux, tel Philippe Djian, qui confie aux Inrockuptibles, être reconnaissant à Virginie Despentes de lui avoir offert 2666. Ou encore Patti Smith qui n’a cessé de souligne l’importance de l’écrivain dans sa vie d’artiste. A la manière de Thomas Pynchon ou de László Krasznahorkai, Roberto Bolaño fait partie de ces écrivains de la seconde moitié du XXème siècle à l’imagination foisonnante, qu’il faut lire au moins une fois dans sa vie de lecteur.

 

Extrait de 2666 :
« Qu’est-ce que c’est que cette expérience ? dit Rosa. Quelle expérience ? dit Amalfitano. Celle du livre accroché, dit Rosa. Il ne s’agit pas d’une expérience, dans le sens littéral du terme, dit Amalfitano. Pourquoi le bouquin est là-bas ? dit Rosa. Ça m’est venu d’un coup, dit Amalfitano, c’est une idée de Duchamp, laisser un manuel de géométrie suspendu en proie aux intempéries pour voir s’il apprend deux ou trois choses de la vie réelle. Tu vas complétement l’abîmer, dit Rosa. Pas moi, dit Amalfitano, la nature. Ecoute, tu es de plus en plus fou, dit Rosa. Amalfitano sourit. »

2666, Roberto Bolaño, Editions de l’Olivier, 1168 pages, 29 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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