Classique
Au plus profond de Kenta Kojiri et du Quatuor Arditti

Au plus profond de Kenta Kojiri et du Quatuor Arditti

24 June 2023 | PAR Nicolas Villodre

La MCJP, plus couramment appelée la Maison du Japon, nous a proposé pour célébrer l’arrivée de l’été 2023 une soirée de musique et de danse des plus subtiles, ayant pour titre At the Core, composée de trois variations chorégraphiques de Kenta Kojiri sur des thèmes de Toshio Hosokawa et Wolfgang Rihm interprétés par le quatuor à cordes Arditti.

Forsythe sans forcer

L’occasion nous a ainsi été donnée de découvrir le danseur d’exception Kenta Kojiri, formé au néoclassique et au contemporain auprès des plus grands chorégraphes vivants – Jirí Kylián, Ohad Naharin, Mats Ek, William Forsythe, excusez du peu. Et, les amateurs de musique sérieuse et sérielle, celle d’avant la concrète, l’électro-acoustique, l’électro tout court, ont écouté avec plaisir, dans d’excellentes conditions de diffusion, l’ensemble de musique de chambre Arditti, blanchi sous le harnais après près d’un demi-siècle : Irvine Arditti (1er violon), Ashot Sarkissjan (2e violon), Ralf Ehlers (alto) et Lucas Fels (violoncelle). Les quatre garçons dans le vent ont joué Passage (2019) de Toshio Hosokawa, Geste zu Vedova (2015) et String Quartet n°3 im innersten (1976), deux compositions de Wolfgang Rihm.

Musique et danse se sont partagé la scène à égalité, la première formant un carré côté jardin, la seconde dispensée à l’intérieur d’un rectangle blanc côté cour. Dans un entretien publié par le site de la MCJP, Kenta Kojiri précise que son “rapport à la musique a été très fortement influencé par [son] travail avec Jirí Kylián (…). Le son, pas seulement la musique.” Plus récemment, il a effectué “des recherches sur la relation entre le corps et les paysages sonores de lieux associés à des souvenirs.” En 2015, il avait décidé de collaborer avec le Quatuor Arditti, qu’il connaissait de réputation, après leur contribution, en 1995, au fameux Helikopter-Streichquartett (Quatuor à cordes hélicoptère) de Karlheinz Stockhausen.”

Expressionnisme abstrait

En un peu plus d’une heure, musiciens et danseur nous ont fait voyager d’un univers à l’autre, du passé éloigné aux réminiscences d’un siècle encore en cours. Dans Passage, Kenta Kojiri se voile la face derrière un petit masque nô, comme celui récemment utilisé par Akaji Maro en première partie de son duo avec François Chaignaud. Ce qui produit un effet d’étrangeté en même temps que de polysémie chez le spectateur occidental un peu interloqué et exige de l’interprète un “niveau de concentration” peu commun, un “nouvel état de présence”. Le solo chorégraphique de Geste zu Vedova nous a semblé plus “conceptuel”.

Geste s’appuie sur un logiciel maison qui analyse le mouvement et interprète graphiquement le travail orchestral, ce que montre clairement le prologue vidéographique projeté à l’arrivée du public. La propagation et l’inscription des ondes sonores et visuelles dans l’espace sont soulignées par une alternance d’éclats et de silences sonores et d’accélérés suivis de gels gestuels. De la notation façon Laban, le danseur passe à une danse d’expression néo-wigmanienne, voire à une remembrance stanislavskienne, qui sublime ou cristallise les sensations les plus intimes, jusqu’à la catharsis. Tel est selon nous l’objet ou le sujet de la troisième pièce, String Quartet n°3 im innersten, qui permet au danseur de se “reconnecter à des sensations ou des émotions enfouies profondément.”

Visuel : Kenta Kojiri dans At the Core © Pierre Grosbois, 2023.

 

 

 

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