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Le Village de Cirque #17 : programmation réussie et accueil chaleureux

Le Village de Cirque #17 : programmation réussie et accueil chaleureux

14 September 2021 | PAR Mathieu Dochtermann

Du 10 au 26 septembre, les franciliens ont la chance de voir la coopérative 2r2c planter ses roulottes et chapiteaux pelouse de Reuilly, à un jet de pierre du métro Porte Dorée, avec son Village de Cirque #17. Une programmation belle et équilibrée, qui propose de tout et pour tous les goûts, telle est la recette maison, et elle est fort bien respectée en ce premier week-end : On est là, tout va bien (cie Rouge Eléa) simple et poétique, Pigment(s) (cie CirkVOST) fondé sur la performance aux agrès aériens, Desiderata (cie Cabas) très écrit et politique (et franchement canon).

Le Village de Cirque porte bien son nom : si, de jour, on voit encore les barrières de sécurité et l’asphalte mité de la pelouse de Reuilly, la nuit on jurerait une place de village comme il y en a des milliers en France, où un cirque itinérant aurait choisi de poser sa fabrique à rêves. Buvette, foodtruck, artistes attablés sous les lampions, absence totale de distance (sociale, on ne parle évidemment pas des réglementations sanitaire) ou de hiérarchie entre les convives, on s’y sent extrêmement loin de Paris… alors que le périph’ est à 100m.

Mais ce n’est pas tant l’ambiance qui vaut qu’on fasse le déplacement jusqu’à l’orée du Bois de Vincennes, si sympathique soit-elle, que la qualité des propositions circassiennes qui viennent y faire un tour de piste.

Ainsi, on pouvait découvrir ce week-end le travail de la cie Rouge Eléa, avec le spectacle On est là, tout va bien. Une proposition en extérieur qui mêle acrobaties aériennes sur une échelle revisitée, danse au sol, et musique, le tout en plein air, avec une scénographie toute simple faite de petits morceaux de plâtre (sans doute) blanc, dont on va vite comprendre qu’il vont figurer des morceaux de banquise. En un prologue et quatre scènes, c’est un spectacle assez narratif mais complètement surréaliste et/ou absurde (extrait : “En attendant le tsunami, on s’accroche à la boule à facettes !”) et, dans cette catégorie, complètement délicieux. Il s’agit de parler en pointillé du dérèglement climatique, mais par un détour intelligent et pas du tout moralisateur. Il s’agit aussi de parler de joie et de résilience, toujours en pointillés, et les trois interprètes le portent avec une vérité et une finesse confondantes. La musique jouée en direct par Ander Fernandez Jauregui est vraiment excellente, ce qui ne contribue pas peu à l’émotion délicate qui se dégage de l’ensemble. La danse, l’expression, l’intensité de présence et de sourire d’Amaia Elizaran y contribuent aussi. Le spectacle est encore jeune et on peut lui trouver des petits défauts : notamment, les parties aériennes, qui sont beaucoup portées par Alicia Rechac, qui en fait quelque chose d’intéressant, semblent un peu déconnectées du reste de la dramaturgie, et l’invite faite aux spectateurs de se joindre aux artistes au plateau ne va pas plus loin que de les faire asseoir, immobiles, au milieu de l’espace de jeu. Pour autant, il y a là quelque chose qui frémit, quelque chose de très beau et émouvant, plein de poésie, de joie et de folle douceur (ou de douce folie?), et on aimerait vraiment voir cette proposition déployer tout son potentiel !

Avec Pigment(s) la cie CirkVOST renoue avec la pelouse Reuilly. En effet, la troupe est coutumière du Village de 2r2c. Elle propose ici un spectacle sur une structure pour extérieur impressionnante (celle de leur spectacle Hurt Me Tender). Pigment(s) a été écrit pendant le confinement, et en porte l’empreinte comme en négatif : l’envie de faire quelque chose de simple, fédérateur, tourné vers le plaisir de la rencontre et la joie de pouvoir retrouver le public. De l’esquisse d’une proposition de récit sous-jacent, il vaut mieux ne pas parler, car ce dernier n’est qu’un vague prétexte, malgré les bonnes intentions dont il est imprégné. On ne s’embarrasse pas non plus de dramaturgie ici. Tout est resserré sur la performance circassienne brute, celle de la prise de risque et de la performance technique, à 15m du sol. On doit reconnaître que les numéros sont très nombreux, les agrès variés, certains passages à couper le souffle. Pour qui veut du spectaculaire, le programme ira à ravir. Qu’importent alors la musique vite choisie et la mise en scène qui a parfois du mal à trouver un emploi au 12 personnes juchées là-haut : il faut savoir lâcher prise et s’offrir un moment pour vibrer à l’unisson d’un public qui pousse des “Ah !” et des “Oh !” d’admiration ou de peur devant les figures tentées.

Vient enfin la perle des spectacles que l’on a découverts : Desiderata de la cie Cabas, qui réussit un pari difficile, celui de faire un spectacle de cirque faisant une très large place au texte et à l’interprétation théâtrale, sur le sujet du (ou des) genre(s), avec une distribution qui semble univoquement masculine au premier abord (mais au premier abord seulement). Sophia Perez, qui met en scène le spectacle, ne s’est pas épargné les difficultés. Elle fait le pari scénique de faire cohabiter bascule coréenne et cadre coréen sur le plateau alors que son sujet convoque le délicat et l’intime (et elle utilise aussi les portés acrobatiques et la danse). Elle le double du pari dramaturgique de trouver la justesse et la tension de cette proposition, qui n’est rien sans son texte et sans une interprétation qui soit à la hauteur de l’exigence de vérité du matériau. L’écriture est intelligente, mais ce sont bel et bien les 6 interprètes qui sont magiques et transfigurent le spectacle. Leur talent n’est pas tant dans la prouesse circassienne, même si elle est là, et qu’elle est parfaitement maîtrisée par ces diplômé.e.s du CNAC (qui la déconstruisent cependant bien vite). Elle est plutôt dans l’authenticité de l’investissement dans les personnages, portés dans un mélange de rage et de bouillonnement intérieur et de questionnements livrés à brûle-pourpoint, de confessions murmurées mêlant souvenirs traumatisants et examen de conscience. Tout cela sonne diablement juste, et secoue les spectateurs. En outre, le spectacle a deux grands mérites. D’une part, éviter d’essentialiser le propos à “une” condition masculine, ce qui aurait constitué une approche réductrice. D’autre part, éviter de donner l’impression d’un exercice opportuniste, celui d’hommes cherchant soit à se donner bonne conscience, soit à profiter d’un effet de mode ou de provocation. Ces deux écueils étant évités, reste la sincérité des tâtonnements de six jeunes personnes de la génération #metoo, qui grandissent au milieu de questions (pour l’instant sans réponses claires) devenues essentielles, de repères floutés, d’expressions de genre et d’identité devenues fluides, de déconstruction (encore timide) d’un système social multi-millénaire… rien que ça. Les corps disent l’émotion et le trouble autant que les voix et les regards. On ne sait plus ce qui est joué et ce qui ne l’est pas, à part le personnage du masculiniste qui est presque comme une fausse note. Petit bonus : une bande son impeccable, qui s’achève à bon escient sur Les gens qui doutent de la regrettée (et insuffisamment considérée) Anne Sylvestre. Le public en sort ému, parfois même bouleversé, remué en tous cas. Un spectacle qui s’adresse au cœur, peut-être encore plus qu’il ne s’adresse aux yeux. Est-il utile de préciser qu’on recommande vivement de le voir ?

 

VILLAGE DE CIRQUE #17
du vendredi 10 au dimanche 26 septembre 2021
Pelouse de Reuilly – Paris 12

Visuel (c) Philippe Deutsch

H-Burns revisite Cohen dans “Burns on the wire” (Interview)
Chronic(s) 2 de Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer
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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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