La lévitation, dans la rue et dans la chair
Le festival Chalon dans la rue permet au public de découvrir La lévitation réelle de la compagnie L’immédiat (Camille Boitel) dans des conditions assez idéales. Une parenthèse de poésie imprévue, une proposition simple et élégante, prouesse technique avec l’air de ne pas y toucher. A mettre entre toutes les mains.
Difficile d’écrire sur La lévitation réelle sans gâcher le plaisir de la découverte. Le travail de Camille Boitel se loge toujours là : dans l’imprévu, la surprise, le décalage, l’extraordinaire qui éclot dans les interstices de l’ordinaire.
S’agit-il de lévitation, ou du plus terrible – mais aussi du plus beau – des handicaps ? Comment vivre son quotidien quand on pèse moins que l’air, quand on s’envole au moindre hoquet, quand un souffle peut vous jeter aux nues, à la dérive entre les nuages ?
C’est Camille Boitel lui-même qui fixe les spectateurs en se plaçant devant un mur, sur un trottoir, à un endroit qui n’a rien que d’ordinaire. Il prépare méthodiquement sa clarinette basse, ajuste les pièces, essaie les mécanismes. On pourrait aussi bien ne pas le remarquer. A l’heure dite, il prend son souffle et les premières notes, douces et sourdes, retentissent. L’attention, soudain, se tourne vers lui. On attend qu’il décolle. Il ne décollera pas. Devant lui vont passer des personnes, des festivaliers et des festivalières, des gens que rien ne distingue de nous, sinon qu’ils marchent et que nous sommes assis sur un parking. Jusqu’à ce que.
L’accident survient, le bête accident. Et l’incroyable s’immisce dans cette scène de festival. Une personne décolle. Irrésistiblement, le ciel l’aspire à lui, alors qu’elle n’aspire qu’à rester parmi nous. Le trottoir se dérobe, le vertige se produit, mais un vertige inversé, insensé, un vertige vers le haut. Si on lève le nez, on mesure l’infinie profondeur du gouffre qui s’ouvre sous ses pas, là où volent les oiseaux.
Tombera-t-elle dans le vide de l’atmosphère pour marcher sur le plafond de nuages ? Ou se trouvera-t-il quelqu’un, quelqu’une, pour lui éviter le sort d’Icare ?
Il y a là plus d’un tour de force. Peut-être le moindre n’est-il pas d’avoir eu l’intelligence de sentir la juste durée pour cette scène irréelle qui fait irruption au milieu du réel : un quart d’heure de sidération, et c’est fini. La rue est rendue à la rue. On applaudit, mais on reste devant un mur nu. Le musicien a disparu. Était-ce un rêve ? L’ordinaire a repris ses droits.
Au-delà, évidemment, il y a une performance physique et technique incroyable, dont il serait dommage de révéler les ficelles. On a le plaisir de retrouver le duo formé par Voleak Ung et Vincent Brière, toujours juste, toujours bien à son endroit, toujours impressionnant de maîtrise. Avec leurs comparses, Hemda Ben Zvi et Tuk Frederiksen, ils arrivent à créer une illusion presque parfaite, à donner consistance à l’incroyable, à tel point qu’on y croit, à cet incroyable événement. C’est impeccablement propre et réglé.
Chapeau bas à Camille Boitel et à Sève Bernard pour avoir concocté ce petit bijou de précision poétique.
Pour celleux qui traînent dans les parages de Chalon, cela joue tous les jours, plusieurs fois d’affilée, à partir de 10h et de 14h.
GÉNÉRIQUE
Distribution : Écriture, chorégraphie : Camille BOITEL / Assistante à la mise en scène, regard extérieur : Sève BERNARD / Interprètes : Hemda BEN ZVI, Vincent BRIERE, Tuk FREDERIKSEN, Voleak UNG / Régie générale : Stéphane GRAILLOT / Production, administration, diffusion : Elsa BLOSSIER / Chargée de production : Agathe FONTAINE
Photo : (c) cie L’Immédiat