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[Chronique] « The Marshall Mathers LP 2 » d’Eminem : retour d’un lascar légendaire
[rating=3]
Le parrain du rap rompt le silence avec son dernier album The Marshall Mathers LP 2, clin d’œil musical au sulfureux The Marshall Mathers LP qui l’avait propulsé au devant de la scène au début du millénaire. Humour licencieux et rythme savoureux : symptômes cliniques d’un grand retour.
Le fabuleux débit de syllabes d’Eminem fascine toujours autant. Ses paroles deviennent des substances illicites par leur ardeur et leur violence. Le rappeur de Detroit instaure une dictature de la vulgarité poétique, et les sonorités agressives reflètent une douleur presque indicible. Avec ce nouvel album, le jeune quadra continue de graver son autobiographie sur des partitions, et choisit ses mots comme des notes de musique, noirs et blancs, puissants et brutaux.
Le rappeur de Détroit sculpte un album où il extirpe de l’énergie des souterrains de son âme abîmée. The Marshall Mathers LP 2 est la crise de la quarantaine vécue par un enfant prisonnier dans un corps qui vieillit. Le rappeur réveille sa schizophrénie créatrice et incite Slim Shady, son alter ego musical, à surprendre de nouveau. Ses fantômes hantent l’opus même s’il se réconcilie avec quelques-uns de ses monstres, comme son éternelle mère indigne dans « Headlights ».
« Berzerk » rend hommage au hip hop de la vieille école avec des samples de « Fight for your right to party » des Beastie Boys produit par le même Rick Rubin. Sa fureur a un sens et « Bad guy » en est la preuve. Em caresse son public et le tabasse en même temps, en véritable iconoclaste du XXIe siècle. Dans « Brainless », on sent sa colère se crisper autour de ses versets névrosés.
L’artiste fout un projecteur blafard sur des références à ses anciennes chansons et tamise la lumière sur ses vices adoucis. Son chaos personnel est cadencé et cadenassé dans un album émouvant malgré une légère chute dans l’extravagance commerciale. En effet, l’homme révolté succombe aux chants des sirènes de la pop et son rap est perverti par la présence superflue d’une Rihanna, d’un Nate Ruess ou d’une Skylar Grey. Dans « The Monster » ou « Asshole », le rappeur semble en effet apprivoisé par les codes d’une musique mainstream, fade et abrutissante où il vend une complicité factice entre le vrai rap et de la pop de masse. L’artiste rugit mais sa rage s’essouffle lorsqu’il entretient une alliance musicale avec des artistes creux et insipides. En visant le grand public, il perd de sa force. Mais l’éclectisme des rythmes séduit l’ouïe lorsqu’il est pertinent comme dans « Survival ».
Eminem oscille entre puissance et dérive, mais réédite l’exploit de The Marshall Mathers LP. Quelques erreurs ne peuvent ébranler l’édifice en béton armé que l’artiste a construit. The Marshall Mathers LP 2 théâtralise une souffrance vieille de 40 ans qui creuse des tranchées dans le cœur de son auteur. Une sauvage vitalité surgit dans sa sincérité délinquante. Son talent est indécent et c’est ce qu’on aime.
Hélène Gully
Visuel : (c) pochette de The Marshall Mathers LP d’Eminem