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Jean-Baptiste Doulcet : “Grâce au Concours Long-Thibaud-Crespin, on m’a découvert !”

Jean-Baptiste Doulcet : “Grâce au Concours Long-Thibaud-Crespin, on m’a découvert !”

16 December 2019 | PAR Victoria Okada

Trois jours après le final et la remise du prix du Concours Long-Thibaud-Crespin, le 19 novembre, Jean-Baptiste Doulcet, le 4e Prix et le Prix du Public, a donné un récital au cercle suédois, dans le cadre des Jeunes Talents, dans un programme constitué de quelques pièces présentées tout au long du Concours. À l’issue de ce concert presque privé « encore dans la lancée des choses », il a livré ses impressions toutes fraîches sur son vécu lors de ces épreuves internationales, mais aussi sur son parcours et sur ses projets.

Propos recueillis par Victoria Okada

TouteLaCulture (TLC) : Quelles sont vos impressions générales après le Concours Long-Thibaud-Crespin ?

Jean-Baptiste Doulcet (JBD) : Je suis très heureux. C’était complètement inattendu, car je n’aurais vraiment pas cru que j’arriverais jusque-là.

 

TCL : Vous ne pensiez pas que vous vous trouviez parmi les finalistes ?

JBD : Absolument pas ! Mes impressions, c’est surtout que les choses ne se sont pas déroulées telles que j’avais prévu et que c’était très fatigant. C’était en effet extrêmement éprouvant de devoir enchaîner ainsi les épreuves, et par conséquent, d’organiser aussi mentalement que physiquement ces enchaînements. Ce qui était difficile pour moi, c’est de ne pas mélanger les épreuves, et tout donner pour le premier tour sans penser à la suite. J’ai certes passé le premier tour mais après coup, je pensais que ce n’était finalement pas encore assez, alors il fallait donner davantage à l’étape suivante… Comment maîtriser tout cela, alors qu’on n’est souvent pas maître de soi-même… Il y a également des imprévus… J’ai donc essayé de me focaliser sur les œuvres que j’allais jouer et de ne pas penser à autre chose, de ne pas tout mélanger.

Les attentes étaient difficiles aussi. Même si ce n’est pas long d’attendre un jour, le temps s’étire dans de telles conditions, et cela devient un moment de vide difficile à combler, à part travailler… Tout cela a été compliqué.

TLC : Vous avez pourtant participé à d’autres concours internationaux?

JBD : Un peu, depuis deux ans à peine. Je me suis présenté à Maria Canals l’année dernière, qui n’avait pas marché du tout, je veux dire, je ne suis pas passé en demi-finale. Puis, cette année, juste deux mois avant Long-Thibaud, j’ai obtenu le Prix Modern Times [pour la meilleure interprétation de l’œuvre imposée] à Clara-Haskil alors que je n’ai pas été finaliste. En tout cas Clara-Haskil a été une expérience enrichissante. Son programme me paraissait intéressant, tout comme Long-Thibaud. D’ailleurs, Long-Thibaud a repensé le programme cette année, ce qui me correspondait.

Je ne crois pas à la démonstration technique en tant que telle. D’ailleurs, lors de l’accueil des candidats le premier jour du concours, un mot du président nous l’a rappelé en citant Marguerite Long qui aurait dit : « N’oubliez pas que la technique n’est qu’un outil pour l’expression. »

Un parcours « à l’inverse »

TLC : Pourriez-vous parler de votre parcours musical ? Car le vôtre est assez atypique. Vous êtes plutôt connu comme improvisateur. Faites-vous du jazz ?

JBD : Je fais un peu de jazz mais je suis complètement autodidacte dans ce domaine. J’improvise dans tous les styles de ce que l’on appelle de la musique classique, et dans ce cadre là cela m’arrive de toucher le domaine du jazz.

Oui, on peut dire que mon parcours est atypique parce que j’ai fait tout mon cursus à l’envers. Je suis entré au Conservatoire National Supérieur de Musique d’abord en improvisation, puis en écriture, ensuite en musique de chambre et enfin en piano. C’est l’exact inverse a priori de ce qu’on suit comme formation.

 

TLC : Vous étudiez actuellement en Suède, pourquoi ce choix ?

JBD : Je travaille en Suède depuis l’année dernière. Durant mes études à Paris, j’ai suivi pendant un an le programme d’échanges Erasmus en Finlande. Un jour, j’ai vu une affiche d’un concours qui avait lieu en Suède et qui était ouvert aux Scandinaves uniquement ou à des étudiants étrangers poursuivant leurs cursus dans un pays scandinave. Je me suis inscrit et ai obtenu le 2e prix [au 8e Piano Nordic Competition, en Suède, où il a donné son improvisation pour la cadence du 3e concert de Beethoven]. C’était d’ailleurs le moment déclencheur dans ma vie ; je me suis dit qu’il n’y avait peut-être pas que l’improvisation et que le répertoire du piano pourrait me convenir. La réalité nous montre qu’il y a des dizaines de milliers de bons pianistes et dans ma tête, je me suis toujours classé comme improvisateur et non un pianiste de répertoire. Julia Mustonen-Dalkvist dont je suis actuellement l’enseignement, dirigeait ce concours. Elle m’a entendu et a souhaité travailler avec moi. Elle m’a invité à son festival, puis, nous avons constaté que travailler ensemble fonctionnait très bien. J’ai découvert en elle une personnalité incroyable, notamment, un monde musical avec une rigueur impressionnante, lié à un travail qui soulevait des questions que je ne m’étais jamais posées auparavant ! C’est quelque chose de fondamental pour moi.

TLC : Vous avez été dans la classe de Claire Désert à Paris.

JBD : C’est exact. Elle a été primordiale pour moi car elle m’a structuré. Lorsque je suis arrivé au CNSM, j’étais éparpillé dans tous les sens : Je faisais de l’impro mais ne travaillais pas mon piano, j’avais certes des facilités mais faisais n’importe quoi ! Je n’avais pas du tout le profil d’élèves qui arrivent très doués et tout jeunes. Ma préoccupation était avant tout l’impro. Cela a autant d’importance pour moi aujourd’hui mais le répertoire du piano l’a nourri et l’impro a nourri à son tour mon répertoire. Et me voilà avec mon 4e prix dans le Concours Long-Thibaud-Crespin !

Pour revenir à Claire Désert, elle m’a vraiment structuré sans que je ne me rende compte. Au bout de quelques années, beaucoup de personnes m’ont dit que je ne jouais pas du tout de la même manière, elle m’a ainsi apporté énormément de choses : elle m’a fait évoluer en me cadrant. Une fois que ce cadrage a été fait, j’avais besoin d’autre chose, une dimension plus profonde et réflexive, ce que j’ai trouvé avec Julia Mustonen-Dalkvist en Suède. Claire Désert ne pouvait pas m’apporter cela lorsque je travaillais avec elle car elle a vu qu’il y avait d’autres choses à régler, notamment le travail sur le son, c’est-à-dire l’amplitude sonore pour que je puisse remplir l’espace de la salle sans dureté, les questions techniques et expressives qui sont intimement liées, la construction des phrases, l’écoute absolue… On peut avoir une très bonne oreille qui peut tout entendre mais ne peut pas tout écouter ; concernant la technique, Claire Désert m’a enseigné sur la façon dont on utilise les doigts ! Oui, elle m’a appris jusque-là !

Le Concours Long-Thibaud-Crespin m’a ouvert une opportunité.

TLC : Revenons au Concours Long-Thibaud-Crespin. Quelle était la chose la plus difficile pour vous ?

JBD : Un grand concours comme Long-Thibaud-Crespin n’est pas un moment ouvert aux autres. Sans être pour autant une mauvaise personne et qu’on a beau se dire que c’est bien d’être bienveillant aux autres compétiteurs, c’est un moment où on ne pense qu’à soi-même, coupé de ce qui se passe autour. Pour ma part, j’avais besoin de ne pas savoir qui jouait quoi — évidemment, je ne suis allé écouter personne, c’était absolument impossible ! — si j’y étais allé cela aurait été pour mon intérêt, pour savoir par exemple comment sonnait la salle. C’était donc difficile car cela ne montre pas une bonne facette de nous, néanmoins c’était nécessaire, pour la préparation, de se renfermer sur soi, d’être égocentrique… Mais heureusement c’était juste pour une bonne semaine !

Après la finale, j’ai eu des échanges franchement très « classe » de la part de mes collègues. Kenji Miura [1er prix] et Keigo Mukawa [2e prix] sont venus frapper à la porte de ma loge pour me féliciter pour mon interprétation du concerto ! J’ai trouvé cela formidable, tout le monde ne l’aurait pas fait et moi-même je ne sais pas si j’aurais eu cette élégance.

TLC : En parcourant votre programme du concours et en vous écoutant dans la salle, j’ai eu l’impression que vous êtiez axé sur le XXe siècle, mais finalement, pas tant que ça…

JBD : C’est un hasard. Par exemple, au Concours Clara-Haskil, sur trois heures de mon programme, il n’y avait pas une seule œuvre du XXe siècle, hormis la pièce imposée de Thierry Escaich. À Long-Thibaud, Debussy et Ravel étaient imposés, j’ai présenté Bartok au premier tour et repris en finale son 3e Concerto. Encore une fois c’était un hasard car le seul des concertos que je connaissais sur la liste était un Mozart, le 24e en do mineur, que j’avais préparé pour Clara-Haskil. Le 3e de Bartok en finale était une œuvre que j’ai toujours rêvé de jouer, il est pour moi l’un des plus beaux concertos pour piano qui existent. Je suis plutôt à l’aise dans les Bartok, en revanche, j’ai monté ce concerto après Clara-Haskil, donc en trois semaines. Je trouve bien le fait que le jury ait pu choisir le concerto que chaque candidat devait jouer ; si c’était moi qui aurait dû choisir, je n’aurais pas pris Bartok, car c’était très frais, trop frais même, cela me faisait très peur, mais cette fraicheur était peut-être finalement bonne, a posteriori. Et Mozart… c’est très difficile de convaincre avec Mozart… J’aurais été certainement moins bon si jamais je devais jouer Mozart, mais j’aurais improvisé la cadence. J’aurais ainsi montré autre chose, quelque chose de hors normes dans un concours international et cela aurait pu avoir des intérêts… ou pas. Donc, j’aurais eu du mal à choisir entre les deux avec des avantages et des défauts qui me sont propres.

TLC : Pour les autres pièces, les aviez-vous déjà bien préparées ?

JBD : Plus ou moins… Je sortais de Clara-Haskil dont le programme n’avait pratiquement rien de commun avec Long-Thibaud-Crespin, excepté le Concerto de Mozart et l’op 116 de Brahms. Donc, j’ai pris ce que je connaissais déjà pour le choix des œuvres libres : les Burlesques de Bartok, la Sonate de Berg, la Capriccio de Bach. Pour les imposées, j’ai dû monter pour la première fois, comme les Variations de Haydn, Le jeu des contraires de Dutilleux, le premier Nocturne de Fauré… et le Concerto de Bartok et l’Etude n° 2 de Jarrell. Dans l’ensemble, j’avais la moitié prête mais l’autre moitié, je l’ai mise en place après le Concours Clara-Haskil, en deux mois. C’est pour cela que je me suis posé la question, encore une semaine avant le début du concours, si j’y participe ou renonce, car j’étais en retard. J’étais persuadé que cela ne servirait à rien de se présenter au concours si on n’est pas prêt, de se ridiculiser devant un jury avec de telles personnalités… Il faut être rationnel… En fin de compte j’ai su que je pouvais aller jusqu’aux finales, et là, j’ai accéléré le rythme [de travail]. Si j’avais toutes les œuvres bien rodées, je ne savais pas ce qui allait se passer.


(Jean-Baptiste Doulcet à partir de 2h22′)

TLC : Et maintenant ? Qu’est-ce que vous comptez faire, à part dormir ? [rires]

JBD : Voir un kinésithérapeute dès demain et aller au spa ; j’ai le dos complètement défoncé ! Sinon, musicalement, je vais voir ce qui se déroulera par la suite, mais mon souhait le plus cher est d’enregistrer un disque, un vrai CD. En fait, j’ai sorti un CD en 2017 chez Les Spiriades, j’en étais très content mais tellement de choses ont changé depuis, surtout sur le plan instrumental ! Mon premier CD était un enregistrement en direct d’un concert, où on peut entendre du Beethoven et du Schumann, mais aussi une seconde moitié autour de mes improvisations sur des idées du public. Aujourd’hui j’ai déjà une petite idée du programme pour mon prochain CD, alors… Puis, trouver un agent, peut-être… Puisque je suis arrivé tard dans le système du piano, je ne suis pratiquement pas connu, sinon dans le tout petit cercle d’improvisateurs. On m’a découvert grâce au Concours Long-Thibaud-Crespin ! Le concours tombait donc pile au moment où il fallait pour moi. Avec cette récompense, l’opportunité se présente à moi d’être un pianiste de répertoire en tant que tel, tout en continuant à être improvisateur et j’en suis content.

TLC : En plus vous avez obtenu le Prix du Public.

JBD : Oui ! C’est même la chose la plus importante pour moi : fédérer les gens autour de ce que je propose. C’est la seule récompense à laquelle j’ai pu espérer quelque chose en tant que finaliste. Cela me fait très plaisir et chaud au cœur ! Je suis juste très heureux du résultat.

Une petite anecdote : au cours de la conversation, il a évoqué sa passion pour le cinéma en disant qu’il a quelque 3 000 DVD chez lui et qu’il écrit des critiques de films ! S’il y a des musiciens et mélomanes cinéphiles parmi les lecteurs, vous allez certainement avoir des échanges passionnants avec lui !

Photo @ Victoria Okada

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