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Thibaud Mennillo : « Je suis toujours friand de nouvelles expériences émotionnelles. » – Interview

Thibaud Mennillo : « Je suis toujours friand de nouvelles expériences émotionnelles. » – Interview

06 April 2023 | PAR Geraldine Elbaz

Guidé par ses émotions, habité par la musique, dont les couleurs et les formes prennent vie au fil des notes improvisées sur le clavier, Thibaud Mennillo, 33 ans, nous embarque dans un univers pianistique polysensoriel incomparable. Il vient de sortir chez jazz family son premier album intitulé Quintes et Sens. Le 28 mars dernier, il donnait un concert introspectif et intimiste à la bougie au Sunside. Rencontre avec l’artiste. 

En quelques mots, pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis issu d’une famille de musiciens de jazz et de classique. Mon grand-père, Roger Mennillo, était un pianiste de jazz reconnu dans le milieu marseillais. Je suis un ancien sportif de haut niveau en décathlon, ingénieur de formation et chef d’entreprise. 

En novembre 2020, j’ai ressenti le besoin d’acheter un piano à queue. Je venais de déménager et j’avais désormais de la place pour le recevoir. Le piano est arrivé chez moi et là, ça a été la découverte musicale, l’inspiration. Je me réveillais le matin, je le voyais dans mon salon et j’étais attiré par lui comme un aimant. Quand je jouais, je faisais corps avec lui. 

Après un mois d’exercices, fin décembre 2020, j’ai pu jouer devant mon grand-père, qui m’a demandé de ne jamais arrêter le piano et de poursuivre mes recherches. Il est mort un mois après et son oreille m’a manqué. 

Je me suis alors rapproché de Benoit De Mesmay, grand pianiste accompagnateur, qui m’a donné quatre expériences d’écoute d’avril à septembre 2021. Ce n’était pas des cours au sens littéral, on n’était pas au piano, on était dans le discours musical. On échangeait sur l’intention, le silence, les émotions… Benoit a la capacité d’aller chercher un son, il fait des arrangements, il est dans la couleur, il est très Bill Evans. Il a un toucher feutré. Il m’a donné une certaine sensibilité dans ma musique. Cela m’a permis de rendre hommage à mon grand-père lors de son festival en juillet 2021.

Puis j’ai beaucoup échangé avec Philippe Gaillot, l’ingénieur du son de mon album, et tout a pris sens. Je les considère comme des mentors. Ce sont eux, avec mon grand-père qui m’ont donné l’impulsion de départ. 

Quel a été votre cheminement depuis cette impulsion jusqu’à vos premiers concerts ?

Après un an de piano, le 24 novembre 2021, j’ai donné mon premier concert de piano solo : Léthargie. Je faisais rentrer le public dans une transe répétitive hypnotique et méditative. C’était au forum Léo Ferré, à Ivry-sur-Seine. Stébane Lamarca, le directeur de la salle, m’a fait confiance pour ma première scène. C’est un pianiste que je considère comme un grand frère. On a fait le pari de remplir une salle et ça a marché !

Puis j’ai été programmé en juin 2022, le jour de mes 33 ans, pour un piano solo au forum Léo Ferré et au festival de mon grand-père en juillet 2022, où Monty Alexander et George Cables se produisaient aussi. 

J’ai eu de bons retours après les concerts et Philippe Gaillot m’a proposé de faire un album. Il m’a aidé à le structurer avec des respirations, des silences, une ponctuation. Fin août 2022, on a enregistré Quintes et Sens. La préparation s’est faite en Normandie pendant un mois, où j’ai eu la chance de pouvoir travailler l’improvisation tous les jours pendant six heures.

Ensuite, Stéphane Portet a écouté l’album et il m’a proposé de faire un concert à la bougie au Sunside en mars. J’ai été tout de suite très intéressé par le concept car je suis toujours friand de nouvelles expériences émotionnelles. J’étais aussi très séduit par le côté intimiste, introspectif de ce que peut procurer une lumière tamisée dans une musique personnelle. Le concert s’est organisé de manière cohérente, dans un partage d’émotions et d’énergies.

Quelles sont vos sources d’inspiration musicales ?

J’aime la musique contemplative contemporaine de Steve Reich et Philip Glass. J’écoute beaucoup de musique classique : Ravel, Messiaen, Schumann, Bach, Debussy… Mais aussi beaucoup de jazz : John Coltrane, McCoy Tyner, Thelonious Monk, Keith Jarret, Chick Corea, Ornette Coleman, Bill Evans, Duke Ellington… sans oublier Frank Sinatra pour le côté arrangements et orchestration. Ce qui m’intéresse, c’est avant tout la texture sonore. Ce n’est pas tant l’œuvre en tant que telle, mais l’unité d’un son et c’est ce que j’essaie de retrouver dans mon piano. Je suis également très inspiré par la peinture que j’essaie de retranscrire à travers ma musique, comme Monet, Cézanne, Van Gogh, Pollock…

Vous venez de sortir votre premier album Quintes et Sens, pourriez-vous nous le présenter ?

C’est un album qui se veut léger, volatile. On est dans la respiration, dans l’éphémère à chaque piste, mais quand on déroule l’ensemble, on redécouvre ce qui est apparu préalablement. Il y a ainsi une certaine unité dans la construction des pistes, où chacune d’entre elles préfigure en quelque sorte celle qui suit.

Principalement, il y a deux standards arrangés « Over The Rainbow » et « Someday My Prince Will Come » et  deux compositions « Meet Me Again » et « Imagin RM » ; le reste, ce sont des séquences improvisées à 100% : « Pipapili », « Guillemette », « Leave », « Texture », « Keith », « Ô Violette »…

« Climate Change », c’est l’orage, c’est la souffrance et en même temps, on a l’impression de voir un petit rayon de soleil à la fin qui amène vers « Someday My Prince Will Come ». C’est pas pour rien, il y a cette liaison qui se crée. 

Cet album, c’est un chapitre de mon histoire personnelle, qui se veut d’être la plus authentique possible, parce que la musique se doit de respirer et essaie de véhiculer des émotions. C’est ce que je tente de faire, quand je suis en concert ou lorsque j’étais en studio avec Philippe Gaillot.

Par ailleurs une collaboration artistique a vu le jour à travers cet album avec le designer Sylvain Rodriguez (designer) et Kiichiro Ogawa, (artiste peintre japonais) qui utilise une technique particulière de peinture spontanée « Paint on the air ».

Qu’est-ce que votre musique doit, selon vous, susciter chez vos auditeurs ? 

Un partage d’émotions et d’énergies. La musique permet de voyager et de temps en temps aussi de redécouvrir des souvenirs de jeunesse, parce que finalement on se construit avec sa jeunesse et je considère qu’en étant authentique, on reste comme un enfant dans l’innocence et l’insouciance. La musique se doit d’être la plus sincère possible.

Quel est votre rapport à la liberté dans votre musique ?

Il existe le terme « free jazz », jazz libre on va dire. Moi je n’aime pas mettre un style musical dans une case, donc je me considère improvisateur, comme un pianiste moderne. Je me permets d’avoir la liberté de modifier, de trouver la cohérence et d’en faire ma propre liberté d’écoute. Le plaisir dans la musique est de créer un discours avec des questions et des réponses, c’est un dialogue. 

Pourriez-vous nous raconter une anecdote originale concernant cet album ?

Dans ces 16 titres, il y en a deux qui ont été joués debout, sans savoir que j’avais été enregistré : « Guillemette » en ouverture d’album. C’est un clin d’œil à mon frère qui s’appelle Guillaume. On a quelque chose de léger qui apparaît. Ça a été joué en découvrant le piano. Et puis « Leave » à la fin du premier tiers de l’album, j’avais envie de créer une respiration à cet endroit : on venait de finir la session et je voulais jouer quelques notes avant la pause déjeuner, qui ont été récupérées et qui forment une liaison avec l’ensemble.

Quels sont vos projets pour cette année ? 

Je suis dans un parcours de piano solo car pour moi le piano équivaut à dix musiciens, qu’il faut pouvoir gérer comme un orchestre, comme un orgue. Mais je suis aussi sur deux projets artistiques en duo. Le premier sur de la musique improvisée à 100%, ça s’appelle Mensky, « Music to Machine ». Une prestation musicale « sans filet », sans arrangement préalable, dans laquelle nous discourons en double improvisation simultanée. Je travaille avec Stanislasv Makovsky, un compositeur improvisateur électro-acousticien qui a gagné plusieurs concours d’improvisation et de composition. Sa musique est purement authentique et spontanée. Mon autre projet est un duo contrebasse/piano avec Olivier Pinto. On est dans un univers très coltranien et spirituel. La piano et la contrebasse s’appellent et se répondent dans une conversation ininterrompue : se relançant mutuellement, s’écoutant l’un l’autre sans jamais prendre la première place, avec une variété de langages exposées et d’univers évoqués !

Visuel : (c) César Sylva

Thibaud Mennillo 

Quintes et Sens 

Sortie album : 10 mars 2023

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Geraldine Elbaz
Passionnée de théâtre, de musique et de littérature, cinéphile aussi, Géraldine Elbaz est curieuse, enthousiaste et parfois… critique.

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