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Quatre bis et une ovation debout pour Arkadi Volodos à la Philharmonie de Paris

Quatre bis et une ovation debout pour Arkadi Volodos à la Philharmonie de Paris

26 May 2019 | PAR Yuliya Tsutserova

Il est bien après l’heure indiquée pour la fin du concert, mais le public refuse tout simplement de partir : c’est le quatrième bis suivi d’une ovation debout pour Arkadi Volodos à la Philharmonie de Paris le jeudi 23 mai, 2019. À plusieures reprises, cet esprit du piano incarné se précipite discrètement vers les coulisses, mais l’appel du sacrement musical est irrésistible, et il l’administre avec un sourire à la fois lumineux et impénétrable.

Il fut un temps où l’expression « musicien russe » évoquait l’alliance parfaite de la maîtrise technique vertigineuse avec la plus grande sensibilité poétique et sentimentale ; en Volodos, cette expression regagne son sens. Ancien élève du Conservatoire de Saint Pétersbourg (études de chef d’orchestre et de chant), puis, à 15 ans, l’objet de vote de confiance de Galina Eguizarova au Conservatoire de Moscou, il part, dans les sillage de l’effondrement socio-politique des années 80 et 90, (comme le faisaient, d’ailleurs, tous les jeunes espoirs du pays) en Europe : d’abord, en 1993, une année au Conservatoire de Paris avec Jacques Rouvier, puis au Madrid avec Dmitri Bashkirov. Le proverbe russe dit : « L’on peut bien sortir le russe de la Russie, mais l’on ne peut pas sortir la Russie du russe ». En effet, le sentiment profond et sans limites y est constitutionnel, comme Volodos le constate lui-même : « le virtuose n’est pas celui qui impressionne l’auditeur par ses effets pyrotechniques. Il est celui qui laisse s’effacer les prouesses techniques sous la force, la diversité, la beauté des couleurs et des nuances, sous l’impact émotionnel de son interprétation ».

Au programme ce soir, en premier lieu, Franz SCHUBERT (1797-1828). La Sonate en mi majeur D. 157 (1815) est son premier exercice, à dix-huit ans, en forme sonate, et expérimente dans l’Allegro ma non troppo avec des gammes et des arpèges enchaînés, que Volodos caricature furtivement à cause, sans doute, de se sentir un peu refréné. Son intérêt revient dans la dernière partie de l’Andante aux petits pas à la fois curieux et réticents. Parmi les Six Moments musicaux D.780, op. 94 (1823-1828), nous remarquerons d’abord les sonorités beethhovéniennes du Moment musical no. 1, les sauts élastiques du Moment musical no. 3 (publié en 1823 sous titre approprié d’Aire russe), et le galop infatigable du Moment musical no. 5. Volodos est solide ici en toutes déclinaisons, sauf l’instrument lui fait parfois fondre les notes basses pédalées pianissimes, et certaines notes à la remontée ne sonnent pas bizarrement jusqu’au bout, étrange phénomène qui ne se reproduit plus pour le reste du concert.

Suit une sélection des préludes, « chansons », et études-tableaux de Sergueï RACHMANINOV (1873-1943). La partition de la Prélude op. 3 no. 2 en ut dièse mineur (1894) est typiquement surmenée, mais rachetée, en exécution de Volodos, par l’impulsion et équilibre bien mesurés. La Prélude op. 23 no. 10 en sol bémol majeur (1903) est réfléchie, aérée et lyrique, à la palette tonale plus sophistiquée avec des aiguës à la cloche, que Volodos transforme en gouttes d’eau. Le premier et dernier tiers de la Prélude op. 32 no. 10 en si mineur (1910) est angélique en mode mineur chéri par les russes, que Volodos exécute au toucher tendre et léger. Le Romance op. 21 no. 7, « C’est beau ici » (1902) est un peu nostalgique et par moments même saccharin, mais reste consommée au niveau de l’exécution. La Sérénade en si bémol mineur op. 3 no. 5 (1892) commence comme d’habitude mais explose vite en rythmes et motifs espagnols, puis en grappes bigarrées et triades satie-esques, Volodos en est amusé et enjoué, un éclat de son côté espiègle. L’Étude-Tableau en ut mineur op. 33 no. 3 en mi bémol mineur (1911) est un expériment en champs sonores diffus qui souffre un peu d’indécision, mais Volodos l’optimise avec retenue et patience.

Le troisième volet est consacré au Alexandre Nikolaïevitch SCRIABINE (1871-1915), théosophe, symboliste, nietzschien. La sélection est composée des « danses » et des œuvres plus mystiques. Or ça serait impossible de danser à sa Mazurka op. 25 no. 3 en mi mineur (1898-1899), une composition plutôt minimaliste et parfois distraite. La Caresse dansée op. 57 no. 2 (1908) est dans le même ordre des idées au niveau de l’espace et du minimalisme, mais sensiblement plus intelligente au niveau de la construction tonale, c’est Scriabine « hors piste », Scriabine explorateur ; Volodos joue cette pièce originelle et décadrée avec introspection intense. L’Énigme op. 52 no. 2 (1907) est un désordre trompeur, une minute des apparitions et disparitions instantanées que Volodos capte avec une vivacité et réactivité enviables. Des Deux Danses op. 73 (1914), les Guirlandes amplifient les lignes dénudés et en zigzag des « danses » précédentes, pendant que les Flammes sombres présentent des motifs audacieux et des batteries puissantes d’une couleur sombre et menaçante. La pièce finale, Vers la flamme op. 72 (1914) est une évocation du combat dualiste entre pensée et matière, beaucoup trop complexe et abstraite pour être figurative, mais le poème accompagnant est une curiosité typiquement théosophique qui mérite attention en fonction de ses images saisissantes mélangeant le stoïcisme, les religions à mystères grecs, la Nature anthropomorphisée, et la transfiguration chrétienne.

Visuel : © Tsutserova

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