
La Sonnambula au TCE par Sabine Devieilhe : un beau rêve éveillé…
Après le triomphal et superbe Werther donné dans ces lieux samedi dernier, le Théâtre des Champs-Elysées frappait encore fort lundi en programmant une version de concert de l’opéra de Bellini, La Sonnambula, avec John Osborn dans le rôle d’Elviro et la tant attendue Sabine Devieilhe dans celui d’Amina. Alors que plus loin en ville, à Bastille, Olga Peratyatko est elle aussi sur scène pour la Première de Rigoletto, la jeune soprano française s’attelle au bel canto de Bellini…
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Le programme rappelle la passé glorieux de ce personnage avec de grands noms, comme Maria Callas ou Natalie Dessay, mais avouons qu’aujourd’hui le nom de Sabine Devieilhe suffit à lui seul sans nul besoin de rappeler les fantômes du passé. Ce soir, la soprano colorature nous offre “son” Amina et c’est justement ce que nous attendions tous avec impatience depuis l’annonce de cette soirée.
Difficile alors de ne pas répéter ce que nous disons à chaque fois que l’interprète monte sur scène : le talent est au rendez-vous, la technique est remarquable, les trilles sont parfaites, les ornementations sont savamment exécutées, sans jamais oublier l’interprétation et l’incarnation du personnage malgré l’absence de mise en scène. Sabine Devieilhe “est” Amina, dans sa légèreté, dans l’empathie qu’elle dégage, et même dans son somnambulisme lorsqu’elle chante, endormie, “Elvino”. Son entrée nous fait d’ailleurs glisser dans le rêve qui se prépare, tout en douceur, souriante, et son “chers amis” (“Care compagne, e voi, teneri amici”) paraîtrait même s’adresser au public. A la fin de son air “Ah non credea mirarti”, c’est bien nous qui avons l’impression de sortir lentement de la torpeur d’un doux rêve. Que dire donc qui n’ait pas déjà été dit cent fois? Ce “coup d’essai” est un coup de maître qui laisse présager le meilleur pour la suite. Toutefois, alors que Sabine Devieilhe comble des attentes que nous n’oserions pas imaginer pour bien d’autres cantatrices, nous sentons que la technicienne hors pair qu’elle est peut atteindre d’autres sommets encore avec, peut-être, quelques aigus ici “vifs” ou “aiguisés” remplacés par des notes alors rondes, plus “polies”, qu’appelle le bel canto. C’est probablement demander l’impossible, mais s’il est une cantatrice qui peut l’atteindre…
Face à une telle réussite, John Osborn semble légèrement fatigué, ce qui apporte finalement une certaine douceur et une interprétation plus tempérée que ce à quoi l’on pourrait peut-être s’attendre, ce qui est alors loin d’être inintéressant. La délicatesse touche bel et bien les deux protagonistes et l’on note ici aussi un jeu présent malgré la version de concert. Leur grand duo du premier acte déchaîne par ailleurs les applaudissements du public et le chef les fait revenir pour saluer à nouveau.
Le reste du plateau n’a pas à rougir non plus avec la basse Nicola Ulivieri dans le rôle du comte dont le timbre embrasse parfaitement le personnage. La projection est elle aussi au rendez-vous, de même que le legato notable. Jennifer Michel campe pour sa part une Lisa des plus convaincantes, tant dans la voix que dans le jeu, de même que Rachel Kelly dans le rôle de Teresa ou encore Ugo Rabec dans celui du pauvre Alessio qui subit la verve de Lisa.
Les Cris de Paris titillent pour leur part la perfection avec une puissance, une nuance, une diction et une cohésion époustouflantes. L’Orchestre de chambre de Paris, pour sa part, suit ce même mouvement sous la baguette de Christopher Franklin qui donne un ton et un rythme justes à l’ensemble de l’oeuvre, prenant le temps nécessaire lorsqu’il le faut, avant de reprendre la course plus ou moins effrénée de la partition.
Une soirée réussie de bout en bout donc, comme le prouvent les applaudissements exceptionnels qui ont retenti dans la salle du Théâtre ce soir. Préparez-vous à entendre cela de vos propres oreilles grâce à la rediffusion de cette version de concert sur France Musique le 21 mai vers 19h.
©MolinaVisulas (pour la photo de Sabine Devieilhe)
©D.Riber pour la photo du concert